7/2/08

Les nouveaux Français d'Afrique
FRANCE - 29 juin 2008 - par FRANÇOIS SOUDAN JACQUES BERTOIN

Au nord comme au sud du Sahara, la tribu des expatriés s'est profondément transformée au fil des décennies. Sa composition actuelle révèle bien des surprises...

Ils ont leur figure de proue - l'ambassadeur -, leur rituel - le 14 Juillet dans les jardins de la chancellerie -, ils remplissent les avions d'Air France en période de départs en vacances, n'intéressent les médias que lorsque l'armée les évacue, et les politiciens quand une élection présidentielle pointe à l'horizon. Pour le reste, on ignore tout ou presque de ces quelque 300 000 Français d'Afrique, population il est vrai extrêmement diverse, qui va du retraité d'Essaouira au travailleur humanitaire d'Abéché, en passant par le forestier de Lambaréné et la désormais célèbre boulangère de Treichville.
Au fil des décennies qui ont suivi les indépendances, la tribu s'est profondément transformée. À la période faste des « années coopérants » a succédé, à partir de la fin des années 1980, celle du reflux. Sans doute n'est-ce pas un hasard si ce retrait, qui a atteint son point d'orgue lors de la crise ivoirienne, a coïncidé avec les soubresauts nés du double choc de la démocratisation et de la dépression économique sur le continent. Confrontés à l'impossibilité de « faire du CFA » sans l'aide sécurisante de régimes contrôlés depuis Paris, beaucoup de Français sont partis pour ne plus revenir.
Pourtant, l'étude et les chiffres que nous publions ici indiquent que la tendance s'inverse depuis quelques années. Le nombre des Français d'Afrique a désormais rattrapé celui de 1985, date du début de la grande décrue, à cette différence près que plus de la moitié sont désormais des binationaux. Plus qu'une nuance, c'est une petite révolution. Pour la première fois, les Français d'Afrique ne sont plus majoritairement des expatriés, mais des citoyens du pays où ils vivent et des métis culturels. À condition que la France officielle sache la saisir, c'est une vraie chance pour refonder sa relation avec le continent.


La scène se passe dans la nuit du mardi au mercredi 10 novembre 2004, dans l'aérogare « charters » de l'aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle. Sur la piste, trois avions gros-porteurs se succèdent, chargés des Français de Côte d'Ivoire que l'armée a réussi à exfiltrer d'Abidjan après les violences du week-end. Pour les recevoir, peu d'officiels - ni le président Chirac ni son Premier ministre Raffarin ne se sont risqués sur l'autoroute du Nord à cette heure tardive -, mais une forêt de caméras et les gilets fluo des équipes de la Croix-Rouge et du Secours catholique. Lorsque, au fond du hall, un frémissement signale l'approche des premiers arrivants, le comité d'accueil se met en branle. Et, très vite, le désordre s'installe. On voit refluer des micros et s'entrecroiser les faisceaux des projecteurs, comme si les télévisions poursuivaient en vain un gibier récalcitrant.
Finalement, bien peu d'images seront diffusées : la foule crachée par les avions est en effet… majoritairement noire, ce qui ne « colle » pas du tout avec le sauvetage « à la Kolwezi » des chères têtes blondes que l'on s'apprêtait à « vendre » aux télé­spectateurs français ! Les travailleurs sociaux, dont la mission, en pareilles circonstances, est surtout de canaliser les retrouvailles avec les familles, se montrent tout aussi ?désemparés : la plupart de ces « rapatriés » n'ont visiblement aucune attache en France où personne ne les attend. Les seuls bras qui se tendent vers les enfants rescapés sont ceux des préposés, fonctionnaires ou bénévoles…

Doubles-Nationaux
Bref, si les stéréotypes ont la vie dure, la réalité n'en est pas moins têtue : on savait déjà que les Français de Côte d'Ivoire ne portent plus le casque colonial, le short kaki et les bandes molletières. Mais on n'avait pas encore forcément « intégré », à Paris, qu'ils n'avaient plus, non plus, les yeux bleus ! Or, majoritairement, les résidents français d'Abid­jan ou de Bouaké sont désormais des doubles-nationaux. Et ce à l'instar des autres Français d'Afrique, de quelque manière que ceux-ci aient acquis ce statut. Certains, naturalisés français à l'occasion d'un long séjour dans l'Hexagone, ont finalement choisi de revenir, en famille, sur la terre de leurs ancêtres. D'autres, à partir d'un mariage mixte, ont pu satisfaire aux formalités de naturalisation simplifiée mises en place en 1973. D'autres encore, comme les Algériens, ont appris à utiliser les dispositions réglementaires spécifiques - et passablement complexes ! - leur ouvrant l'accès à la double nationalité.
Toujours est-il, en d'autres termes, que s'ils partagent bien la nationalité, la langue et parfois la culture de leurs concitoyens, ces Français ont de moins en moins souvent la même couleur de peau ! Il n'est guère que l'Afrique non francophone où les doubles-nationaux français ne sont pas majoritaires, par déficit, sans doute, d'un passé commun avec la « métropole », et Djibouti, pour cause d'immigration particulièrement active donnant la palme aux expatriés récents, civils ou militaires.
Partout ailleurs, il nous faudra lire les statistiques sur les Français d'Afrique non seulement comme « incluant les doubles-nationaux » mais encore comme reposant principalement sur eux. Et la tendance s'accélère : au Maghreb, par exemple, ils étaient, en 1984, 16 500 recensés, sur un total de 70 500 Français inscrits dans les consulats. Un peu plus de vingt années plus tard, ils sont 63 000 sur 90 000, avec des proportions encore plus écrasantes si l'on prend en compte les seuls moins de 20 ans, presque tous nés sur le continent.
Ce phénomène - relativement peu connu, car les doubles-nationaux vivant en Afrique ont tendance à ne pas le crier sur les toits ! - s'explique partout, ou presque, pour des raisons de bon sens. Il tient, tout d'abord, au déclin marqué de la coopération de substitution assurée par la France au lendemain des indépendances : la figure familière de « l'assistant technique » français qui faisait tache (blanche) au sein de la plupart des équipes locales - ingénieurs, agronomes, formateurs, militaires… - s'est effacée dans presque tous les domaines, et seuls quelques individus sous contrat - parmi lesquels on ne compte d'ailleurs plus qu'une minorité de « résidents » - viennent encore animer cette « queue de dispositif institutionnel » dans les agences et autres missions du service public en Afrique.

Vivier local
L'évolution des entreprises, ensuite. Les sociétés françaises qui, jadis, n'envisageaient pas de s'implanter au sud de la Méditerranée sans truffer leurs bureaux et leurs usines d'expatriés, ont vite compris que le paysage avait changé : sans même évoquer l'épineuse question du « différentiel des salaires », pourquoi financer des déménagements coûteux, des résidences qui le sont encore davantage et verser des indemnités d'expatriation élevées à des cadres qu'on ferait venir de Paris quand il est notoire qu'à Rabat, à Tunis ou à Dakar il existe un vivier local de professionnels diplômés des mêmes écoles et tout aussi compétents pour exercer les mêmes tâches ? Seuls les hauts dirigeants et quelques responsables techniques particulièrement « pointus » sont toujours « importés », les autres étant dès lors recrutés sur place : la progression des « contrats locaux » est inversement proportionnelle - presque point pour point - à la baisse du nombre des migrants venus de France.
Enfin, malgré le tumulte médiatique qui entoure bien souvent leur présence, l'implantation des ONG de toute nature en Afrique est loin de revêtir, sur le plan démographique, l'importance qu'on lui prête dans le domaine politico-(ou poético-)littéraire, puisque, selon un sondage récent du ministère français des Affaires étrangères, moins de… 3 % des expatriés reconnaissent avoir pris leur décision pour des raisons humanitaires !
Des circonstances locales peuvent bien sûr apporter, ici ou là, quelques retouches à ce cadre général. La guerre, le terrorisme, voire seulement la menace de troubles - en Côte d'Ivoire, au Tchad, en Algérie… - font parfois momentanément fléchir de façon spectaculaire la présence française, tandis qu'au Maroc - peut-être demain en Tunisie, si les conditions fiscales et celles du marché de l'immobilier s'y prêtent - l'arrivée massive de retraités français vient au contraire grossir le flot des migrants.
Mais la tendance n'en est pas moins dans l'ensemble la même, des rives de la Méditerranée jusqu'au cap de Bonne-Espérance : les « Français d'ailleurs » se multiplient au rythme de la croissance démographique de leur pays d'accueil tandis que les nouveaux expatriés se font de plus en plus rares en Afrique, au profit de ces autres destinations aujourd'hui plus convoitées que constituent l'Europe, l'Amérique et, de plus en plus, l'Asie. D'où ces courbes en pente douce des statistiques globales concernant les Français d'Afrique, descendant hier pour remonter légèrement aujourd'hui, qui masquent bien souvent des mouvements plus vifs affectant la répartition interne de leurs composantes.

Pays « à risque »
Telle est, pour la sénatrice Monique Cerisier-Ben Guiga - épouse d'un Tunisien dont le patronyme résume, à lui seul, l'heureux métissage -, la première observation transversale s'appliquant à tous les lieux d'accueil d'une population dont les histoires, les destins, les enracinements, la composition et les perspectives manifestent, par ailleurs, une infinie diversité. Et cette élue des Français de l'étranger, riche de tous les voyages qui l'amènent à parcourir à leur service sa « circonscription qui est le monde entier », veut tordre le cou à un autre malentendu : en Afrique, on n'est jamais français seulement par intérêt.
Certes, le passeport accordé par les autorités de Paris joue-t-il, en quelque sorte, le rôle de cette police d'assurance à laquelle on souscrit tout en voulant croire qu'on n'aura jamais à s'en servir : il permet, en cas de crise grave, de prendre la poudre d'escampette sous la protection du drapeau tricolore, surtout dans les pays « à risque » où d'aucuns vivent depuis des lustres avec un billet d'avion pour Paris en poche. Ce qui n'est plus le cas de ceux, aujourd'hui les plus nombreux, qui ne sauraient même plus où aller s'il leur fallait abandonner leur famille, leur maison et leurs biens « d'Afrique ». Et si ce précieux document, en temps normal (?), n'en conserve pas moins l'avantage de dispenser les candidats au voyage dans l'espace Schengen des formalités d'obtention d'un visa, toujours pénibles et aléatoires, pour le reste, « Ouallou ! ».
Ou presque : contrairement à une idée reçue - et abondamment propagée, non sans quelques arrière-pensées -, la nationalité française n'ouvre le droit, en Afrique, à aucune protection sociale particulière, à l'exception, peut-être, d'une allocation vieillesse qui est loin d'inciter ses bénéficiaires de plus de 65 ans à se vautrer dans le luxe. Et si le Français d'Afrique dispose d'une incontestable priorité concernant l'accès de ses enfants au réseau éducatif français, il ne saurait pour autant sauter, fût-ce grâce à l'aide d'une bourse, toutes les barrières érigées pour la protection des élites locales.
En effet, la nationalité qui ouvre l'accès à l'inscription ne suffit plus : pour bénéficier d'un enseignement dans les établissements très convoités de l'Aefe (Agence pour l'enseignement français à l'étranger), encore faut-il être « sociocompatible » (par le quartier de résidence, les pratiques vestimentaires ou alimentaires) et le prouver, ce qui reste bien souvent hors de portée des doubles-nationaux les plus modestes, alors que la bourgeoisie locale manipule en virtuose toute la palette des instruments que l'argent met à sa disposition.
Décidément, par-delà les drames et les cicatrices de l'Histoire, l'attachement des Africains français au pays dont ils partagent la nationalité reste d'une autre nature, principalement affective, dont on sait les élans comme les déchirements.
Il serait heureux que les Français de France en prennent eux aussi conscience en cultivant ces valeurs qui font, aujourd'hui encore, le pouvoir d'attraction comme le rayonnement de leur pays. Qu'ils laissent sans regrets, ici et là-bas, se diffracter la « vision blanche » de la France. Et qu'ils profitent de cette leçon que leur donnent les Français d'Afrique en leur faisant découvrir leur propre diversité !






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Jean-Louis Kayitenkore
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