10/14/08

Présidentielle 2008 : Ce que veulent les femmes

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Le vote des femmes sera décisif le mardi 4 novembre, aux Etats-Unis.
AFP/EMMANUEL DUNAND
Le vote des femmes sera décisif le mardi 4 novembre, aux Etats-Unis.

Pennsylvanie, envoyée spéciale

C'est presque sur un coup de tête, début septembre, que deux jeunes New-Yorkaises, Lyra Kylston et Quinn Latimer, ont envoyé chacune à une vingtaine de leurs amies un courriel en forme de lettre ouverte. Il avait pour titre : "Voici quelque chose de positif que nous pouvons faire !" et commençait ainsi :

"Amies et compatriotes, Nous vous écrivons à cause de la colère et de l'effroi que nous avons ressentis à l'annonce du choix de Sarah Palin comme candidate à la vice-présidence des Etats-Unis pour le Parti républicain. Nous croyons que cette terrible décision (...) est une farce dangereuse - de la part d'un candidat sans gouvernail - qui a une réelle possibilité de devenir un fait."

Le texte énumérait les positions "effrayantes" de la gouverneure de l'Alaska contre l'avortement, la liberté de parole, le contrôle des armes, la séparation de l'Eglise et de l'Etat et même... les ours polaires, affirmant qu'il s'agissait d'une "gifle aux victoires acquises par nos mères et grands-mères au prix de combats acharnés". "Mme Palin, concluait-il, ne nous représente pas." Et, pour exprimer leur révolte devant la manoeuvre républicaine visant à attirer les votes féminins, les femmes étaient invitées à répondre, leurs témoignages devant paraître dans le blog Les femmes contre Sarah Palin.

"Au bout de deux jours, raconte Lyra Kylston, 31 ans, chroniqueuse dans une revue d'art, nous avions reçu 600 messages, écrits par des correspondantes de tous âges, de tous milieux, de tous les coins d'Amérique. Au bout de six jours, il y en avait 20 000. Au bout d'un mois, 100 000. Il en arrivait parfois trois à la seconde, nous étions submergées !" Elles en sont à 172 000, tandis que d'autres initiatives de femmes se multiplient, cherchant à se fédérer sur la Toile. Deux électrices du Missouri ont même décrété le 25 octobre "Journée nationale de défense des droits des femmes", donnant de l'impulsion à des manifestations dans un grand nombre d'Etats.

La soudaine apparition de Sarah Palin sur la scène politique n'est pas la seule responsable de l'irruption des femmes dans la campagne électorale. "En termes d'attention, de mobilisation, de débats autour des thèmes les concernant, cette élection est absolument sans précédent !, se réjouit Susan Carroll, professeure de sciences politiques à l'Université Rutgers (New Jersey) et au CAWP (Center for American women and politics). Les candidats ont enfin compris combien cet électorat est crucial : les femmes votent davantage que les hommes (60,1 %, contre 56,3 % en 2004) et, depuis la présidentielle de 1964, le nombre d'électrices à travers les Etats-Unis a toujours été largement supérieur à celui des électeurs (8,8 millions de plus en 2004)."

Les femmes s'étant inscrites encore plus massivement que les hommes sur les listes électorales en cette année qui connaît des records d'inscription, le nombre d'électrices pourrait donc dépasser de plus de 9 millions le nombre d'électeurs. "Leur rôle, affirme Susan Carroll, sera pivot dans le résultat de la présidentielle." D'autant qu'il existe ce que les universitaires appellent un "gender gap", une différence dans les choix électoraux exprimés par les hommes et les femmes.

Le fossé est apparu pour la première fois en 1980, l'année où le républicain Ronald Reagan fut élu par une majorité d'hommes (8 points d'écart avec ses électrices). Il varie à chaque élection : 4 points d'écart entre les électrices (majoritaires) de Bill Clinton en 1992 et ses électeurs ; 11 points d'écart entre les mêmes à l'élection de 1996 ; 7 points d'écart entre les électeurs (majoritaires) de George W. Bush en 2004 et ses électrices. C'est un fait : "Les femmes ont plus tendance que les hommes à voter pour le Parti démocrate."

Les analyses des intentions de vote pour le 4 novembre le confirment, et le candidat républicain McCain semble aujourd'hui perdre les femmes plus rapidement que Sarah Palin ne les a brièvement attirées. Selon les derniers sondages, tous largement favorables au candidat démocrate, le fossé entre les pourcentages d'électrices et d'électeurs décidés à voter pour Barak Obama oscille entre 5 et 17 points. "Plus qu'un fossé, un canyon !", sourit une étudiante du CAWP en découvrant les pronostics concernant l'Etat voisin de Pennsylvanie, considéré comme un "swing state" ("Etat qui pourrait basculer") par les républicains, alors qu'Hillary Clinton y avait triomphé lors des primaires. Les cinq derniers sondages affichent un écart entre électrices et électeurs séduits par Obama allant de 9 à 22 points. Dans l'enquête Rasmussen du 6 octobre, 64 % des femmes disaient vouloir voter démocrate, contre 42 % d'hommes.

Cap, donc, sur la Pennsylvanie, coincée entre l'Etat de New York au nord et celui de l'Ohio à l'ouest. La Pennsylvanie - 12 millions d'habitants -, gagnée par le candidat démocrate en 2004, mais convoitée par les deux candidats qui y multiplient leurs apparitions et l'inondent de publicité : 27 millions de dollars dépensés en messages télévisés depuis la mi-juin, plus que dans n'importe quel autre Etat. Des clips diffusés notamment autour des émissions destinées aux femmes : "Oprah", "Ellen DeGeneres", "Doctor Phil"...

"L'adhésion des femmes est vitale, assure Karen Finney, porte-parole du comité national démocrate. Ce sont elles qui souffrent les premières de la crise, elles qui sont les premières licenciées, elles qui se préoccupent du prix des denrées à mettre le soir sur la table. Le programme d'Obama prévoit pour elles de vraies mesures et ce sont elles, sur le terrain, qui peuvent le mieux les expliquer. A elles de se réunir, de se téléphoner, de toucher soeurs, amies, voisines..."

Le terrain. Tout est là. Christiane, Pam, Debbie, Elaine le savent qui, depuis les primaires, et malgré leur emploi dans les services sociaux, auprès des personnes âgées ou comme infirmières, sillonnent Philadelphie, avec des milliers d'autres bénévoles, dans le but de convaincre les habitants de s'inscrire sur les listes électorales, de s'intéresser au débat politique, de se mobiliser, et de voter... pour Obama.


"Il galvanise les gens, il les responsabilise, dit Elaine, 52 ans, bardée de badges à l'effigie de son candidat et "prête à tout" pour qu'il soit élu. Cet homme-là est juste, intègre, soucieux d'égalité, doté d'un sens de la communauté, d'une vision pour le monde."

Finie l'arrogance des Bush-Cheney et de la "clique des vieux hommes blancs de Washington !", lance Debbie ; finie l'influence des va-t-en-guerre, des pétroliers, et autres profiteurs des marchés de l'Irak ; finie l'indifférence aux communautés les plus pauvres, aux exclus du système de santé, aux petits salaires des femmes payées 76,6 cents pour un travail pour lequel les hommes perçoivent un dollar. "A la différence de Sarah Palin, il est du côté des femmes", souligne Pam, sensible tant à sa défense de l'égalité de salaire, du droit à l'avortement, de l'accès à la contraception qu'à sa volonté d'étendre le congé des femmes enceintes ou des salariés devant s'occuper d'un parent âgé. "Le jour où Obama a accepté sa nomination, c'était le 45e anniversaire du discours de Martin Luther King à Washington, et cela prenait tout son sens", dit Christiane, "bouleversée" par "l'éthique et l'humanisme" du leader démocrate.

La ville de Philadelphie a été quadrillée, et des petits commandos s'occupent, dans chaque quartier, de recruter des hordes de volontaires. "Il nous en faudrait 10 000 le jour de l'élection", dit Christiane. Pour quoi faire ? Allons donc ! "Frapper aux portes. Une fois, deux fois, trois fois. S'assurer que les gens vont voter, s'assurer qu'ils ont voté, s'assurer qu'ils n'ont pas de problème de déplacement ou de garde d'enfants..."

Ce samedi, le comité Obama organise au coeur de la ville un concert de Bruce Springsteen, grand supporteur du sénateur de l'Illinois. Cinquante mille personnes se pressent pour écouter le Boss tandis que Christiane, Pam, Debbie, Elaine et des centaines de volontaires remplissent des formulaires d'inscription sur les listes électorales et prennent les coordonnées des sympathisants.

Doris Thomas et Johnnie Mae West sont aussi de la partie. Africaines-Américaines, vivant dans un quartier défavorisé où la plupart des familles sont touchées ou menacées par le chômage, elles espèrent "un raz de marée" en faveur d'Obama. "Ce pays a besoin d'être lavé, vous entendez ?, dit l'une. Lavé des ignominies de Bush qui a envoyé les enfants les plus pauvres se faire tuer en Irak et qui offre 700 milliards aux financiers de Wall Street quand tant de gens sont en train de tout perdre, y compris leur logement ! Dans ce pays, si vous loupez deux échéances de remboursement, on revend votre maison et même votre voiture ! Mais ça, McCain ne peut pas comprendre, lui qui ne se rappelle même plus combien il a de maisons !"

Un détour au Wal-Mart s'impose. La chaîne d'hypermarchés, fréquentée par un cinquième des Américaines au moins une fois par semaine, a donné son nom à un groupe démographique que les sondeurs disent crucial dans la bataille actuelle : les "Wal-Mart moms", mères de famille blanches, peu éduquées et à faibles revenus. Ce jour-là, les femmes aux Caddie surchargés sont essentiellement africaines- américaines, et, sans surprise, penchent toutes pour Obama.

"Pas parce qu'il est noir !, insiste Betsy Shaw, mère célibataire, qui d'ailleurs préférait Hillary Clinton. Mais parce que c'est le seul qui peut sortir l'Amérique du marasme. J'ai eu jusqu'à trois boulots simultanés pour m'en sortir. Je n'en ai plus que deux et je boucle à peine mon budget. Si j'en perds un nouveau, je ne paie plus mon loyer. Ils le savent, ceux qui rêvent de l'Amérique, qu'ici il faut travailler comme des esclaves ?"

Une femme blanche s'avance, deux bambins dans le Caddie, six autres à ses trousses. "Voter ? Oui, je le ferai. En suivant les instructions de mon mari." On croit à une plaisanterie. "Nous sommes juifs orthodoxes et nous nous sommes réparti les tâches : à lui les décisions concernant la vie en société ; à moi, celles concernant la famille. Cela lui en fait une tous les quatre ans. Cela m'en fait au moins huit par jour. Voyez où est le pouvoir !" Elle a de l'humour. Sa fille de 12 ans aussi : "Tu peux bien dire que papa vote McCain ! On est des conservateurs, on aime Sarah Palin qui se prénomme comme moi, et on a peur d'Obama qui n'aime pas Israël." Sa mère corrige : "On a surtout peur de la réaction de la communauté noire qui se sentira soudain sûre d'elle, et risque de ghettoïser les juifs d'Amérique."

Une autre femme blanche, bibliothécaire, votera "avec élan" pour Obama, parce que "c'est le seul espoir de changement" ; parce qu'elle a deux filles "en âge de procréation" et qu'il garantira le "choix" des femmes en la matière. Enfin parce qu'il "réconciliera l'Amérique avec le reste du monde". Pour "convertir" son mari latino, tenté par McCain, elle lui murmure tous les matins au creux de l'oreille : "Je connais bien les questions russes parce que je vois la Russie de ma fenêtre" - allusion à une déclaration de la gouverneure de l'Alaska, qui répondait à des reproches sur son inexpérience en politique internationale.

Dimanche 5 octobre étant journée annuelle du "respect de la vie" pour l'Eglise catholique, l'évêque de Scranton, au nord de la Pennsylvanie, a ordonné aux prêtres de son diocèse de lire à la messe une lettre dans laquelle il affirme que voter pour un candidat favorable à l'avortement équivaut à soutenir le crime. Des démocrates catholiques s'en sont offusqués et une religieuse, soeur Margaret Gannon, a fait circuler une pétition dans laquelle il est rappelé aux catholiques (un quart de l'électorat américain, un tiers de celui de la Pennsylvanie) qui hésiteraient à voter Obama, que le racisme aussi est un péché qui menace la dignité de la vie.

Le vote des femmes sera décisif le mardi 4 novembre, aux Etats-Unis.

C'est ce que pense Shirley, une élégante Africaine- Américaine de 70 ans, qui, sortant de la cathédrale Saints Pierre et Paul de Philadelphie, se dit navrée du débat. Le choix "si intime" de l'avortement relève de la liberté des femmes, dit-elle, et les priorités d'égalité et de justice sociale défendues par Obama sont les plus respectueuses des enseignements de l'Eglise. "J'étais née sous la Grande Dépression et j'ai vu ma mère, couturière et célibataire, se tuer au travail pour survivre. Elle avait confiance en Roosevelt. Ma fidélité au Parti démocrate date de là."

Karen Goroncy, 51 ans, votera elle aussi démocrate. Divorcée, trois enfants, elle s'occupe à domicile d'un jeune homme handicapé, gagne environ 28 000 dollars (20 500 euros) par an et, comme 45 millions d'Américains, ne dispose d'aucune assurance santé. Elle ne soigne donc pas la hernie qui lui "poignarde" l'estomac, une cystite récurrente, sa vue qui décline, ni sa dentition dans un état critique. Elle n'a encore jamais voté : "A quoi bon ? Les gens comme moi n'avaient aucune chance que ça change." Cette fois, c'est différent : "Obama est mon seul espoir." La réforme de l'assurance-maladie revient avec constance dans les conversations des femmes ; chez les plus démunies, c'est même une obsession. Et pas une infirmière rencontrée ce dimanche à une convention professionnelle ne défend les vues du candidat McCain, résolument hostile à l'objectif de couverture universelle d'Obama.

Alors, les républicaines ? "Pas facile de s'affirmer comme telles à Philadelphie !, sourit Carol Sano, cadre dans l'industrie du voyage. Mais moi, je sais exactement ce qui me fait voter McCain : notre sécurité." Employée de la Pan Am au moment de l'attentat de Lockerbie (le 21 décembre 1988, un Boeing 747 de la compagnie américaine, qui assurait la liaison Londres-New York, explosa au-dessus du village écossais de Lockerbie au Royaume-Uni et causa la mort de 270 personnes) et chargée des relations avec les familles des victimes, elle en est restée traumatisée. Le 11 septembre 2001 n'a fait que raviver son obsession. "Peu importe le prix de l'essence ou la santé de Wall Street si notre sécurité n'est pas garantie. Or nous serons de nouveau attaqués si Obama est élu." Pourquoi ? "Ils n'ont pas peur de lui, ils ont peur de McCain."

Le "ils" est un peu flou, mais la personnalité d'Obama, dit-elle, l'est autant. "Ses liens avec des ennemis intérieurs de l'Amérique, sa volonté de tendre la main aux dictateurs comme Chavez et Castro, ses penchants socialistes... Je suis survivante d'un cancer du sein, mère célibataire de deux enfants adoptés, je dois suffisamment me battre dans la vie pour n'avoir pas envie de craindre en plus les bombes de terroristes."

Au fond, c'est l'un des arguments qui reviennent le plus dans la campagne et les petites villes conservatrices de Pennsylvanie. Il y a le refus d'une hausse des impôts, le rejet d'une "socialisation du système de santé", la volonté de remettre en cause le droit à l'avortement, la conviction que "les républicains défendent mieux les valeurs traditionnelles de l'Amérique". Mais, bien plus qu'une adhésion au programme du sénateur McCain, c'est une suspicion terrible à l'égard d'Obama qui est mise en avant. "Cet homme est angoissant, confie Ruth Buck, 72 ans, ancienne radiologue, rencontrée à Blue Bell. Qui est-il vraiment ? Dans quel gouffre va-t-il faire plonger l'Amérique ? Pendant vingt ans, il fut le fidèle d'un pasteur qui crie sa haine des Blancs ; il a un copain terroriste à Chicago, des connexions palestiniennes alors que nous sommes des amis d'Israël, des liens secrets avec des islamistes... Oh mon Dieu !"

Ce jour-là, John Mc Cain et Sarah Palin tiennent meeting dans la ville de Bethlehem. Le public - entièrement blanc - est survolté, qui chante la "Belle Amérique", prie, debout, main sur le coeur, pour que Dieu "protège les troupes et fasse élire McCain", et siffle lorsqu'un responsable du Parti républicain évoque la possibilité que "Barak Hussein Obama" devienne président des Etats-Unis.

Non, ce n'est pas de l'enthousiasme pour le sénateur de l'Arizona, héros du Vietnam, que l'on ressent ici. Mais une sorte de panique à l'idée que le pays puisse être dirigé par... un Noir ? "Oh ce n'est pas la question !, se récrie une employée d'un centre de jeunes détenus. Mais qui sait d'où vient vraiment cet Obama ? Qui connaît les rapports qu'il a gardés avec des fondamentalistes de son pays ?" Son pays ? Ce n'est pas l'Amérique ? "Si. Enfin... Il y a aussi le Kenya, et puis l'Indonésie, pleine d'islamistes. Où cela va-t-il nous mener ?"

Une jeune serveuse de bar de Bethlehem a regardé le meeting à la télévision. Elle a détesté le discours de Sarah Palin - qui arborait un sac portant la mention "les vraies femmes chassent l'orignal" - et décidé que, contrairement à son père et ses frères - l'un est en Irak -, elle voterait pour le candidat démocrate. "Ma mère se tait, dit-elle. Mais je sens bien pour qui elle penche. Les vraies femmes votent pour Obama !"

Annick Cojean






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