11/28/08

Source: Philippe Dagen, http://www.lemonde.fr

La longue odyssée d'un Matisse disparu


Appelée tantôt Mur rose (de l'hôpital d'Ajaccio), tantôt Paysage, le mur rose, la toile est un Matisse de 1898, oeuvre de jeunesse post-impressionniste. Le 27 novembre, Christine Albanel, ministre de la culture, devait la restituer aux héritiers d'Harry Fuld Junior, c'est-à-dire à la branche londonienne de la Magen David Adom, l'équivalent israélien de la Croix-Rouge. La toile figurait cet été dans l'exposition "A qui appartenaient ces tableaux ?" organisée au Musée d'Israël à Jérusalem puis au Musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris. Cette petite peinture par la taille (38 × 46 cm) n'a rien de majeur. Mais les conditions dans lesquelles elle a traversé le siècle sont remarquables.

Consultez les dépêches vidéo des agences AFP et Reuters, en français et en anglais.   Elle apparaît pour la première fois en public dans une exposition à la Galerie Druet en 1906 ; puis le 2 mars 1914 à l'hôtel Drouot, à Paris, lors de la vente de La Peau de l'ours. Ce drôle de nom est celui d'une association, fondée dix ans plus tôt par un groupe de jeunes gens décidés à unir leurs moyens pour acquérir des tableaux modernes. André Level, futur grand collectionneur, se charge du choix et de l'achat des toiles : Picasso, Derain, Matisse, Van Dongen, ou Dufy.

Les statuts de l'association prévoient une vente au bout de dix ans, en 1914 donc. Celle-ci fait scandale, parce que Matisse et Picasso y obtiennent les prix les plus élevés et parce que la presse française nationaliste s'indigne, cinq mois avant la déclaration de guerre, de la présence et de l'ardeur de marchands allemands.

L'un des plus célèbres est Justin Thannhauser. Il acquiert le petit Matisse et le rapporte à Munich. Au passage de la frontière, les douaniers français apposent leur tampon au revers de la toile - détail plus tard décisif. Il le cède ensuite à un collectionneur de Francfort, Harry Fuld Senior, dont la fortune provient de sa compagnie de téléphones, la plus ancienne d'Allemagne, fondée par lui à 20 ans, en 1899. Le Matisse est cité comme lui appartenant dans le magazine artistique Kunstblatt en 1918, puis à nouveau en 1931.

L'année suivante, Harry Fuld Senior meurt accidentellement en Suisse et son fils Harry Fuld Junior hérite de sa collection. En 1937, les persécutions antisémites le forcent à s'exiler à Londres. Il laisse ses tableaux en Allemagne. Saisie en 1941 comme bien juif, sa collection fait l'objet d'une vente publique en janvier 1942, organisée par Hans Lange. Celui-ci, marchand de tableaux à Berlin, est le repreneur "aryen" de la maison de ventes de Paul Graupe, et le principal liquidateur des collections juives spoliées en Allemagne. Les oeuvres modernes sont exclues de la vente. Le Matisse disparaît.

Il réapparaît en 1948 près de Tübingen, découvert par la gendarmerie nationale en zone d'occupation française, dans une cache constituée par l'officier SS Kurt Gerstein. En raison du tampon de la douane appliqué en 1914, on croit alors que l'oeuvre est de provenance française. Elle devient un MNR (Musées nationaux récupération), nom que l'administration donne aux oeuvres retrouvées en Allemagne et qui proviennent pour la plupart du pillage des collections juives françaises par différents services nazis. Elle est déposée au Musée national d'art moderne.

Comment le SS Kurt Gerstein est-il entré en possession du Matisse ? D'après sa veuve, il tenait cette peinture d'un camarade d'enfance, le dénommé Hans Lange justement...

COMPLICE DE LA SHOAH

Or Gerstein est loin d'être un inconnu des historiens de la Shoah tant son attitude prête à controverses. En 2002, le cinéaste Constantin Costa-Gavras, adaptant au cinéma la pièce Le Vicaire, de Rolf Hochhuth, l'évoque dans son film Amen, consacré aux rapports du Vatican et du IIIe Reich. Né en 1905 à Münster dans une famille luthérienne et ultrapatriote, Kurt Gerstein fait des études d'ingénieur à l'université de Magdebourg, dont il est diplômé en 1931. A cette date, il est déjà membre de l'Eglise confessante, dont l'opposition au nazisme à partir de 1933 est avérée. Gerstein partage alors, semble-t-il, ce refus. En 1935, puis en 1938, il est brièvement emprisonné et exclu du parti nazi - auquel il a donc adhéré. Par patriotisme, affirmera-t-il plus tard. Première contradiction.

L'équivoque s'aggrave quand il est réintégré dans le parti en 1939 et obtient un poste dans l'industrie minière. Elle devient tragique quand il rejoint les SS en mars 1941. Le 1er juin, il est affecté à l'Institut d'hygiène de la Waffen SS à Berlin. Sous-lieutenant dès novembre 1941, il est promu lieutenant en avril 1943 pour ses compétences techniques. Il contribue à la "solution finale", inspecte le camp d'extermination de Belzec, où il assiste à des tueries au gaz carbonique en août 1942 et participe à l'approvisionnement des chambres à gaz d'Auschwitz et d'autres camps en Zyklon B. Gerstein est donc un complice de la Shoah.

Mais un complice qui semble avoir cherché à la dénoncer. Entré en contact avec un diplomate suédois, le baron Göran von Otter, avec le nonce apostolique à Berlin, avec des membres de l'Eglise confessante et de l'Eglise luthérienne, il les informe de ce qu'il sait, espérant que les Alliés en seront avertis. Au printemps 1945, il se constitue prisonnier auprès des troupes françaises à Reutlingen. Enfermé d'abord à Constance, il est transféré à la prison du Cherche-Midi, où il rédige le "rapport Gerstein" afin qu'il serve au procès de Nuremberg, alors à venir. Il y fait état de ce qu'il a vu à Belzec et de tentatives pour s'opposer au processus d'extermination.

Certains faits ont été plus tard corroborés par des témoignages, dont celui de Von Otter. En juillet 1945, la police française n'y a vu que des mensonges et Gerstein, se voyant perdu, s'est pendu dans sa cellule. Jugé à titre posthume en 1950 comme criminel de guerre par le tribunal de Tübingen, il a été réhabilité en 1965 au nom des témoignages ultérieurs sur ses essais de dénonciation de la Shoah. Mais on ignorait alors ses rapports avec Hans Lange et l'affaire de sa "collection".

Après 1945, Harry Fuld Junior est parti à la recherche de son Matisse. Il n'a jamais su qu'il était accroché aux murs du Palais de Tokyo. Il a fallu soixante ans et la conjonction des recherches en Allemagne et en France pour reconstituer l'histoire de Paysage, le mur rose.

Philippe Dagen


Source: Philippe Dagen, http://www.lemonde.fr




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