1/14/09

Exposé de Patrice Emery Lumumba

Exposé de Patrice Emery Lumumba

EXPOSÉ DE PATRICE LUMUMBA A LA SÉANCE
DE CLÔTURE DU SÉMINAIRE INTERNATIONAL
D'IBADAN (Nigeria) LE 22 MARS 1959
ORGANISÉ PAR LE CONGRÈS POUR LA LIBERTÉ
DE LA CULTURE ET L'UNIVERSITÉ D'IBADAN
L'UNITÉ AFRICAINE ET L'INDÉPENDANCE NATIONALE

Je remercie le« Congrès pour la Liberté et la Culture et

l'Université d'Ibadan pour l'aimable invitation qu'ils ont

bien voulu m'adresser pour assister à cette Conférence

Internationale où l'on discute du sort de notre chère Afrique.

C'est une satisfaction pour moi de rencontrer ici plusieurs

Ministres Africains, des hommes de lettres, des syndicalistes,

des journalistes et des personnalités internationales,

qui s'intéressent aux problèmes de l'Afrique.

C'est par ces contacts d'homme à homme, par des rencontres

de ce genre que les élites africaines pourront se connaître

et se rapprocher afin de réaliser cette union qui est

indispensable pour la consolidation de l'unité africaine.

En effet, l'unité africaine tant souhaitée aujourd'hui par tous

ceux qui se soucient de l'avenir de ce continent,

ne sera possible et ne pourra se réaliser que si

les hommes politiques et les dirigeants de nos pays

respectifs font preuve d'un esprit de solidarité,

de concorde et de collaboration fraternelle

dans la poursuite du bien commun de nos populations.


C'est pourquoi l'union de tous les patriotes est indispensable,

surtout pendant cette période de lutte et de libération.

Les aspirations des peuples colonisés et assujettis sont

les mêmes; leur sort est également le même.

D'autre part, les buts poursuivis par les mouvements

nationalistes, dans n'importe quel territoire africain,

sont aussi les mêmes.


Ces buts, c'est la libération de l'Afrique du joug colonialiste.

Puisque nos objectifs sont les mêmes,

nous atteindrons facilement et plus rapidement

ceux-ci dans l'union plutôt que dans la division.

Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées

les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination,

ont largement contribué - et elles contribuent encore -

au suicide de l'Afrique.

Comment sortir de cette impasse '?

Pour moi, il n'y a qu'une voie.

Cette voie, c'est le rassemblement de tous les Africains

au sein des mouvements populaires ou des partis unifiés.

Toutes les tendances peuvent coexister au sein de ces

partis de regroupement national et chacun aura son mot à dire

tant dans la discussion des problèmes qui se posent au pays,

qu'à la direction des affaires publiques.

Une véritable démocratie fonctionnera à l'intérieur de

ces partis et chacun aura la satisfaction d'exprimer librement

ses opinions.

Plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l'oppression,

à la corruption et aux manœuvres de division auxquelles

se livrent les spécialistes de la politique du « diviser pour régner».

Ce souhait d'avoir dans nos jeunes pays des mouvements ou

des partis unifiés ne doit pas être interprété comme

une tendance au monopole politique ou à une certaine dictature.


Nous sommes nous-mêmes contre le despotisme et la dictature.

Je veux attirer l'attention de tous qu'il est hautement sage

de déjouer, dès le début, les manœuvres possibles

de ceux qui voudraient profiter de nos rivalités politiques

apparentes pour nous opposer les uns aux autres et

retarder ainsi notre libération du régime colonialiste.

L'expérience démontre que dans nos territoires africains,

l'opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie,

n'est pas souvent inspirée par le souci du bien général;

la recherche de la gloriole et des intérêts personnels

en est le principal, si pas l'unique mobile.

Lorsque nous aurons acquis l'indépendance de nos

pays et que nos institutions démocratiques seront stabilisées,

c'est à ce moment là seulement que pourrait se justifier

l'existence d'un régime politique pluraliste.

L'existence d'une opposition intelligente,

dynamique et constructive est indispensable

afin d'équilibrer la vie politique et administrative

du gouvernement au pouvoir.

Mais ce moment ne semble pas encore venu et ce

serait desservir le pays que de diviser aujourd'hui nos efforts.


Tous nos compatriotes doivent savoir qu'ils ne serviront pas

l'intérêt général du pays dans des divisions ou en

favorisant celles-ci, ni non plus dans la balkanisation de

nos pays en de petits états faibles.

Une fois le territoire national balkanisé,

il serait difficile de réinstaurer l'unité nationale.

Préconiser l'unité africaine et détruire les bases mêmes de

cette unité, n'est pas souhaiter l'unité africaine

Dans la lutte que nous menons pacifiquement aujourd'hui

pour la conquête de notre indépendance,

nous n'entendons pas chasser les Européens de ce

continent ni nous accaparer de leurs biens ou les brimer.


Nous ne sommes pas des pirates.

Nous avons au contraire,

le respect des personnes et le sens du bien d'autrui.

Notre seule détermination -et nous voudrions que l'on nous

comprenne -est d'extirper le colonialisme et l'impérialisme

de l'Afrique.

Nous avons longtemps souffert et nous voulons respirer

aujourd'hui l'air de la liberté.

Le Créateur nous a donné cette portion de la terre

qu'est le continent africain;

elle nous appartient et nous en sommes les seuls maîtres.

C'est notre droit de faire de ce continent un continent

de la justice, du droit et de la paix.

L'Afrique toute entière est irrésistiblement engagée

dans une lutte sans merci contre le colonialisme et

l'impérialisme.

Nous voulons dire adieu à ce régime d'assujettissement

et d'abâtardissement qui nous a fait tant de tort.

Un peuple qui en opprime un autre n'est pas un peuple civilisé

et chrétien.

L'Occident doit libérer l'Afrique le plus rapidement possible.

L'Occident doit faire aujourd'hui son examen de conscience

et reconnaître à chaque territoire colonisé

son droit à la liberté et à la dignité.

Si les gouvernements colonisateurs comprennent à temps

nos aspirations, alors nous pactiserons avec eux,

mais s'ils s'obstinent à considérer l'Afrique comme

leur possession, nous serons obligés de considérer

les colonisateurs comme ennemis de notre émancipation.

Dans ces conditions, nous leur retirerons avec regret

notre amitié.

Je me fais le devoir de remercier ici publiquement

tous les Européens qui n'ont ménagé aucun effort

pour aider nos populations à s'élever.

L'humanité tout entière leur saura gré pour la magnifique

œuvre d'humanisation et d'émancipation

qu'ils sont en train de réaliser dans certaines parties

de l'Afrique.

Nous ne voulons pas nous séparer de l'Occident,

car nous savons bien qu'aucun peuple au monde ne peut

se suffire à lui même.


Nous sommes partisans de l'amitié entre les races,

mais l'Occident doit répondre à notre appel

Les occidentaux doivent comprendre que l'amitié

n'est pas possible dans les rapports de sujétion

et de subordination.

Les troubles qui éclatent actuellement dans certains

territoires africains et qui éclateront encore

ne prendront fin que si les puissances administratives

mettent fin au régime colonial.

C'est la seule voie possible vers une paix et une amitié

réelles entre les peuples africains et européens.


Nous avons impérieusement besoin de l'apport financier,

technique et scientifique de l'Occident en vue du

rapide développement économique et de la stabilisation

de nos sociétés.

Mais les capitaux dont nos pays ont besoin doivent

s'investir sous forme d'entraide entre les nations.

Les gouvernements nationaux donneront toutes

les garanties voulues à ces capitaux étrangers.

Les techniciens occidentaux auxquels nous faisons

un pressant appel viendront en Afrique

non pour nous dominer mais bien pour servir et

aider nos pays.

Les Européens doivent savoir et se pénétrer de cette idée

que le mouvement de libération que nous menons

aujourd'hui à travers toute l'Afrique,

n'est pas dirigé contre eux, ni contre leurs biens,

ni contre leur personne, mais simplement et uniquement,

contre le régime d'exploitation et d'asservissement

que nous ne voulons plus supporter.

S'ils acceptent de mettre immédiatement fin à ce régime

instauré par leurs prédécesseurs,

nous vivrons avec eux en amis, en frères.


Un double effort doit être fait pour hâter l'industrialisation

de nos régions et le développement économique du pays.

Nous adressons un appel aux pays amis afin

qu'ils nous envoient beaucoup de capitaux

et de techniciens.

Le sort des travailleurs noirs doit aussi être sensiblement

amélioré.


Les salaires dont ils jouissent actuellement sont

nettement insuffisants.

Le paupérisme dans lequel vivent les classes laborieuses

est à la base de beaucoup de conflits sociaux

que l'on rencontre actuellement dans nos pays.


A ce sujet, les syndicats ont un grand rôle à jouer,

rôle de défenseurs et d'éducateurs.

Il ne suffit pas seulement de revendiquer l'augmentation

des salaires,

mais il est aussi d'un grand intérêt d'éduquer

les travailleurs afin qu'ils prennent conscience

de leurs obligations professionnelles,

civiques et sociales, et qu'ils aient également

une juste notion de leurs droits.

Sur le plan culturel, les nouveaux états africains

doivent faire un sérieux effort pour développer

la culture africaine.

Nous avons une culture propre, des valeurs morales

et artistiques inestimables,

un code de savoir-vivre et des modes de vie propres.

Toutes ces beautés africaines doivent être développées

et préservées avec jalousie.

Nous prendrons dans la civilisation occidentale

ce qui est bon et beau et rejetterons ce qui ne

nous convient pas.

Cet amalgame de civilisation africaine et européenne

donnera à l'Afrique une civilisation d'un type nouveau,

une civilisation authentique correspondant

aux réalités africaines.

Des efforts sont aussi à faire pour la libération

psychologique des populations.

On constate chez beaucoup d'intellectuels,

un certain conformisme dont on connaît les origines.

Ce conformisme provient des pressions morales

et des mesures de représailles qu'on a souvent exercées

sur les intellectuels noirs.

Il suffisait de dire la vérité pour que l'on fût vite taxé de

révolutionnaire dangereux,

xénophobe, meneur, élément à surveiller, etc.

Ces manœuvres d'intimidation et de corruption morale

doivent prendre fin.

Il nous faut de la véritable littérature et une presse libre

dégageant l'opinion du peuple et non plus

ces brochures de propagande et une presse muselée.

J'espère que le « Congrès pour la Liberté de la Culture

nous aidera dans ce sens.


Nous tendons une main fraternelle à l'Occident.


Qu'il nous donne aujourd'hui la preuve du principe

de l'égalité et de l'amitié des races que ses fils

nous ont toujours enseigné sur les bancs de l'école,

principe inscrit en grands caractères dans la

Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.


Les Africains doivent jouir, au même titre que tous les

autres citoyens de la famille humaine,

des libertés fondamentales inscrites dans cette Déclaration

et des droits proclamés dans

la Charte des Nations Unies.


La période des monopoles des races est révolue.

La solidarité africaine doit se concrétiser aujourd'hui

dans les faits et dans les actes.

Nous devons former un bloc pour prouver au monde

notre fraternité.

Pour ce faire, je suggère que les gouvernements

déjà indépendants apportent toute leur aide et appui

aux pays non encore autochtones.

Pour favoriser les échanges culturels et le rapprochement

entre les pays d'expression française et

ceux d'expression anglaise,

il faudrait rendre l'enseignement du français et

de l'anglais obligatoire dans toutes les écoles d'Afrique.


La connaissance de ces deux langues supprimera

les difficultés de communication auxquelles

se heurtent les Africains d'expression anglaise

et ceux d'expression française lorsqu'ils se rencontrent.

C'est là un facteur important d'interpénétration.

Les barrières territoriales doivent aussi être supprimées

dans le sens d'une libre circulation des Africains

à l'intérieur des états africains.

Des bourses d'études seraient également à prévoir

en faveur d'étudiants des territoires dépendants.


Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour

rendre publiquement hommage au Dr Kwamé Nkrumah

et à M. Sékou Touré d'avoir réussi à libérer

nos compatriotes du Ghana et de la Guinée.

L'Afrique ne sera vraiment libre et indépendante

tant qu'une partie quelconque de ce continent restera

sous la domination étrangère.

Je conclus mon intervention par ce vibrant appel :

Africains, levons-nous !

Africains, unissons-nous !

Africains, marchons main dans la main avec ceux qui veulent

nous aider pour faire de ce beau continent

un continent de la liberté et de la justice.

Je vous remercie


--
             J-L K.
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