10/22/09

La Chine, eldorado du cognac

LE MONDE 
   
Pékin Correspondant

"La crise ?
Quelle crise ?
Les riches n'arrêtent pas de devenir plus riches"...
Le 14 octobre, le quotidien anglophone officiel
China Daily proposait en "une" ce titre
alléchant et provocateur.
On savait déjà qu'en 2009, dans un contexte
de crise financière planétaire, la Chine a non
seulement tenu le choc mais que son plan
de relance a porté ses fruits.

Son taux de croissance devrait atteindre
les 8 % cette année, vient de confirmer
jeudi 22 octobre le Bureau des statistiques.
Au troisième trimestre, il aurait même
crû de 8,9 % sur un an.
 
La progression du nombre de milliardaires est
tout aussi spectaculaire : selon la "Huchun list rich",
qui, depuis une dizaine d'années,
tient le compte des ultra-fortunés
de la République "populaire", le nombre
de milliardaires est passé de 101 en 2008
à 130 en 2009 !

Une progression foudroyante illustrant tout
à la fois l'enrichissement global du pays
et le fossé qui ne cesse de s'élargir
entre riches et pauvres.
A cet égard, le fameux "coefficient Gini",
qui mesure les inégalités de revenus
dans une population donnée,
plaçait en 2008 la Chine en deuxième position
des nations où les disparités sont
les plus fortes parmi 13 pays industrialisés
et émergents, avec un taux
de 0,469, juste derrière le Brésil.

Le premier milliardaire chinois a opéré
une impressionnante remontée puisqu'il
n'occupait en 2009 que l'une
des dernières places : Wang Chuanfu a 43 ans,
il est à la tête de la société Bi Ya Di,
(Byd, soit "Build your dreams", construisez vos rêves)
qui fabrique des batteries et une voiture électrique.
Il a réussi à se propulser au sommet grâce
aux investissements massifs, dans son entreprise,
de l'homme d'affaires américain Warren Buffet,
qui a fait bondir le cours de Bourse de l'entreprise.

Du coup, la fortune de M. Wang est évaluée
à plus de 5 milliards de dollars.

Sur la deuxième marche du podium, se tient
la "Reine du papier", Mme Zhang Yin,
dont l'entreprise familiale Les Neuf Dragons
lui a permis d'accéder à la place de dauphine.
La dame "pèse" 4,9milliards de dollars.

Une autre Chinoise a dû rétrocéder cette année
de sa place de leader : Yang Huiyan, 28 ans,
fille d'un magnat de l'immobilier, s'était hissée à
la première place l'année dernière mais
se retrouve quatrième, avec seulement
4,6 milliards de dollars
sur son compte en banque.

Mais pourquoi sont-ils si riches ?
Selon Rupert Hoogewerf, un ancien consultant
britannique basé à Shanghaï qui dresse
cette fameuse liste des "rich chinese people",
l'urbanisation accélérée de la Chine
ces dix dernières années explique
en grande partie les spectaculaires réussites
de ces hommes d'affaires dont beaucoup
ont fait fortune dans l'immobilier.

C'est le cas de dix des nouveaux Chinois
les plus riches. Désormais, la Chine abrite
la deuxième population mondiale de milliardaires,
après les États-Unis (qui en ont 359).
Le "club" de ces 130 personnes cumule
un pactole de 571 milliards de dollars
(environ un sixième du PIB chinois).

Il n'est donc guère surprenant, dans
un tel contexte, que la Chine soit devenue
aujourd'hui l'une des cibles de choix
pour l'industrie du luxe.
Il y a une quinzaine de jours, Rémy Martin
avait ainsi décidé de lancer son
tout nouveau cognac très haut
de gamme près de Guilin, cette région
de la province méridionale du Guangxi connue
pour ses paysages de pains de sucre
noyés de brume.

Dans un grand parc dédié à l'art contemporain
aménagé par un Taïwanais lui aussi milliardaire,
sous les explosions de feux d'artifice célébrant
la toute première dégustation du nouveau
"Louis XIII Rare Cask" ("tonneau rare"),
présenté dans un flacon de cristal
de baccarat noir, la maître de chais Pierrette Trichet
a détaillé, devant une centaine d'invités
triés sur le volet - dont des passionnés
chinois du cognac -, les vertus de ce breuvage d'élite.

La stratégie de Rémy Martin consiste ici à jouer
à plein les valeurs de l'exception, du luxe ultime,
en expliquant que le nouveau "Louis XIII"
a été découvert dans un "tierceron"
(barrique contenant environ 560 litres d'alcool)
de la "Grande Champagne" où, depuis
une centaine d'années, quelque
1 200 eaux-de-vie mûrissaient en secret leurs arômes...

Le résultat est ce nouveau cognac dont le prix
est à la hauteur de sa rareté : 786 carafes titrant
43,8 degrés d'alcool, pour la somme
d'environ 10 000 euros chaque !

La version précédente du "Louis XIII",
dont la première bouteille, vendue
sous une appellation différente,
arriva pour la première fois à Shanghaï en... 1883,
se vend dans les grands restaurants
et les épiceries de luxe du monde entier
entre 1 500 et 2 000 euros.

Le fait de faire "avaler", si l'on ose dire,
ce double bond qualitatif et quantitatif
par un aréopage de Chinois, de longue date
conquis aux vertus du cognac,
se justifie par la place de la Chine
dans le marché
des alcools de luxe : l'un des vice-présidents
de Rémy Cointreau, Damien Lafaurie,
explique que, pour les produits cognac
de la branche Rémy Martin du groupe,
la Chine représente 20 % du marché,
juste derrière les États-Unis (40 %).

Et pourrait bien devenir le marché
numéro un d'ici cinq ans.

"En ce qui concerne notamment les ventes
de "Louis XIII", la Chine est le pays
où la croissance est la plus forte,
explique M. Lafaurie.
Nos cibles sont les gens qui, après
avoir acquis un certain niveau d'aisance,
désirent découvrir un art de vivre à la française.

Parce que nos produits sont au cœur
d'une tradition d'hédonisme et de convivialité,
ils sont prisés en Chine,
où l'on privilégie le partage et le culte du cadeau."

La République populaire est un univers
complexe et pluriel où de nouvelles terres
restent à conquérir pour (entre autres)
les vendeurs de cognac qui, toutes marques
confondues, ont écoulé en Chine,
entre septembre 2008 et 2009,
31 063 d'hectolitres d'alcool pur,
ce qui en fait le troisième pays
le plus assoiffé après les États-Unis
et le petit État de Singapour...

"Hongkong est désormais un marché saturé,
détaille Mabel Wong, du bureau
de Rémy Cointreau à Shanghaï.
Pékin reste plus friand de whisky
ou d'eaux-de-vie locales. En revanche,
des villes comme Canton, Macao
et celles de la province du Fujian, au sud,
sont en train de croître
en termes de vente de cognac..."

Après avoir siroté un verre de
"Louis XIII Rare Cask", un milliardaire chinois
justifiait l'autre soir les raisons
de sa passion : Frank Lin a fait fortune
en créant une marina pour yachts dans l'île
de Haïnan et estime que, "lorsque l'on a atteint
un certain niveau de vie, on a envie d'en profiter.

Pour nous, une bouteille de prix comme celle-là,
c'est le symbole d'un statut social".
Plus tard, un autre riche Chinois nous glissera
en confidence à l'oreille : "Vous savez,
une bouteille de cognac comme ça,
c'est aussi une monnaie d'échange.
Je ne vous fais pas un dessin, hein ?
En Chine, il faut bien récompenser
les fonctionnaires ou les gens du parti
qui vous aident, vous voyez ce que je veux dire ?... "

Bruno Philip

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--
J-L K
Sent from Kigali, Rwanda

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