12/4/09

Les maths en quête de mathématiciens

LE MONDE 

Pour la première fois depuis
vingt-deux ans, les mathématiciens
français tenaient à Paris,
les 1er et 2 décembre, les États généraux
de leur discipline.
Avec, au centre des discussions
de ce colloque baptisé "Maths à venir",
un surprenant paradoxe : alors qu'elles
sont plus que jamais nécessaires
au fonctionnement du monde,
les mathématiques sont, dans
les pays riches au moins, de plus
en plus boudées par les étudiants.
 
Où sont-elles ?
A peu près partout. Dans la microélectronique,
dans les simulations numériques
de systèmes complexes,
à l'image de celles utilisées par
les climatologues ; dans les logiciels
qui traitent les énormes masses
de données qui transitent sur le Net ;
dans les systèmes d'imagerie médicale ;
dans le fonctionnement, toujours plus
complexe, des marchés financiers, etc.

Et ce ne sont pas là des mathématiques
forgées de longue date, mais
"des mathématiques issues
de travaux tout récents", explique
Etienne Ghys, chercheur au CNRS
et professeur à l'Ecole normale
supérieure (ENS) de Lyon.

"Nous avons de plus en plus besoin
de mathématiques et disposons
de moins en moins de mathématiciens",
résume-t-il.

Ces besoins concernent les entreprises
pour une part désormais importante.
"En France, il y a environ
6 000 mathématiciens, dit ainsi
Jean-Pierre Bourguignon, directeur de
l'Institut des hautes études
scientifiques (IHES).

Tous ne travaillent pas
dans le monde académique : environ
un tiers d'entre eux sont en entreprise.
Il y a aujourd'hui une grande variété
de métiers réservés aux matheux."

Dans le monde occidental, à l'instar
de toutes les filières scientifiques,
les mathématiques séduisent pourtant
de moins en moins.

Une tendance d'autant plus
préoccupante que les dix
prochaines années verront
des départs en retraite massifs
dans la communauté
des mathématiciens français.

Des pays émergents, singulièrement
l'Inde et la Chine, connaissent
une tendance inverse : les carrières
scientifiques y jouissent
d'un prestige croissant.

"Aux Pays-Bas par exemple,
note M. Bourguignon, on a assisté
à un véritable effondrement,
avec seulement un peu plus
d'une centaine d'étudiants en maths
dans le pays en 2003, alors qu'ils
étaient plus de 1 000
quelques années auparavant."

Forte d'une école parmi
les plus brillantes, la France a
résisté plus longtemps que
les autres pays développés.

"Nous avons cru pendant
un temps que nous échapperions
à ce déclin, mais il nous touche
désormais de plein fouet",
explique M. Bourguignon.

"Au niveau L3 (bac + 3), nous sommes
passés en six ans de 6 000 étudiants
à 4 000 environ", précise
Marie-Françoise Roy, professeur
à l'université Rennes-I.

Cursus long et difficile, incertitude
sur les futures ouvertures
de postes dans la recherche
publique et l'enseignement supérieur,
salaires médiocres...
les écueils ne manquent pas.

Mais ce n'est pas tout.
"Il y a chez les jeunes une vraie
interrogation sur la manière
dont la science au sens large
façonne la société et sur
la manière dont la société a,
ou n'a pas, le contrôle
sur ces changements,
diagnostique M. Bourguignon.

C'est en somme une question
d'acceptabilité de la science."

Les mathématiques sont-elles
"acceptables" ?

 Certains se le demandent
depuis le déclenchement
de la crise financière.

Les mathématiques ont en effet été
rendues responsables de
la déconnexion grandissante
entre l'économie réelle
et les marchés financiers.

Pour Philippe Camus,
président d'Alcatel-Lucent ainsi
que du comité de parrainage
du colloque, "la faute n'en revient pas
aux mathématiciens, mais simplement
à ce que les outils imaginés grâce
aux mathématiques ont été
mal compris et mal utilisés".

Pour autant, ajoute M. Camus,
"il serait bénéfique que
les mathématiciens prennent
l'initiative de se doter d'un organe
qui serait en quelque sorte
leur autorité morale".

"Après tout, plusieurs disciplines
scientifiques disposent
d'un comité d'éthique
à même d'apprécier, voire de corriger,
leur impact sur la société",
plaide M. Camus, lui-même
mathématicien de formation.

La crise des subprimes aura-t-elle
eu un effet sur le désamour
des étudiants à l'égard de la discipline ?

Peut-être, mais rien n'est moins sûr.
Aujourd'hui, les mathématiques
financières fourniraient à elles
seules, au niveau master,
jusqu'au quart des étudiants
en mathématiques français...

Pour ceux des aspirants matheux
qui choisiront la recherche publique,
de nouveaux écueils existent.

Dans les pays développés,
l'organisation de la recherche publique
et surtout ses modes de financement
"tendent à s'uniformiser", explique
en effet M. Bourguignon, vers
"un contrôle toujours plus
tatillon des financements",
de plus en plus souvent alloués
sur un projet de quelques années.

"Si on demande à un mathématicien
ce qu'il aura démontré dans trois ans,
il est obligé de mentir !",
renchérit Etienne Ghys, qui précise
toutefois que l'Agence nationale
de la recherche (ANR) fait évaluer
les projets des mathématiciens
par leurs pairs.

Reste que le virage pris
ces dernières années en
Europe est potentiellement
"assez catastrophique" pour
les mathématiques, selon
M. Bourguignon.

Ces questions sont d'autant plus
cruciales pour les maths qu'elles
seules ont cette magie de
transformer subitement ce qui
peut sembler un pur jeu de l'esprit
en clé indispensable à la résolution
de nouveaux problèmes appliqués.

Philippe Camus en prend
pour exemple les travaux menés
sur les nombres premiers
(seulement divisibles par 1 et
par eux-mêmes), qui fascinent
les mathématiciens depuis des siècles.

"Jusque tout récemment, personne
ne voyait d'utilité à leur étude,
explique M. Camus. Aujourd'hui,
on se rend compte qu'un pays
dans lequel personne ne comprendrait
la théorie des nombres serait
complètement dépendant
de l'extérieur pour élaborer
ses systèmes de cryptographie."

De même, les deux fondateurs de
Google, Sergey Brin et Larry Page,
avaient sans doute en commençant
leur thèse en mathématiques à Stanford,
tout à fait autre chose en tête que
fonder la plus gigantesque
régie publicitaire en ligne.

Le secret de leur réussite
n'aura finalement été rien d'autre
qu'un algorithme,
une simple formule mathématique !

Stéphane Foucart

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--
J-L K
Sent from Kigali, Rwanda

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