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« Quand la politique entre dans le prétoire, la justice en sort »

Qu'est-ce que l'Angolagate ?

« Le plus gros scandale de trafic d'armes

de la fin du XXe siècle » [1], d'après Nathalie Funès

journaliste au Nouvel observateur.

« Une affaire de vente d'armes entre la Russie

et l'Angola, négocié en France, qui empoisonne

les relations entre les deux pays » [2], précise

Renaud Lecadre de Libération.

« En fait, la véritable histoire est celle de

la privatisation de la guerre en Angola et

de l'organisation du pillage des avoirs de l' État

à une échelle comparable à celle atteinte

au Zaïre par Mobutu et au Nigeria

par Abacha » [3], souligne d'un trait rouge vif

l'ONG Global witness dans un ouvrage publié en 2003.

L'Angolagate est avant tout une affaire

d'une exceptionnelle complexité. Il est indispensable

de retracer la genèse de

cette intrigue scabreuse internationale,

histoire de comprendre.

Sommaire :

- Que reproche la justice aux prévenus ?

Les fondements juridiques du procès

- Quels sont les principaux acteurs de l'Angolagate ?

- Pierre Falcone

- Arcadi Gaydamak

- Jean-Charles Marchiani

- Jean-Christophe Mitterrand

- Charles Pasqua

- Paul-Loup Sulitzer

- Jacques Attali

- L'Angolagate avatar de la Françafrique

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Schéma simplifié d'un circuit françafricain : l'Angolagate

Le Portugal accorde l'indépendance à l'Angola

en 1975. Aussitôt le pays est déchiré

par une guerre civile effroyable qui oppose

d'un côté l'Union pour l'indépendance totale

de l'Angola (Unita), du charismatique et

impitoyable Jonas Savimbi et de l'autre

le Mouvement populaire de libération

de l'Angola (MPLA) dirigé par Agostino Neto,

le tout sur fond de guerre froide.

L'Unita est soutenue par le bloc de l'Ouest,

notamment par les USA et l'Afrique du Sud,

et le MPLA par l'Union soviétique et ses alliés.

C'est d'ailleurs avec l'appui des troupes cubaines

qu'en 1976 le MPLA prend le contrôle

du gouvernement. Agostino Neto est aux commandes.

A sa mort en 1979, il est remplacé par

Eduardo Dos Santos. La chute du mur de Berlin

vide le conflit de son intérêt stratégique,

les belligérants signent un accord de paix

en 1991 au Portugal et décident d'affronter

le suffrage universel l'année suivante.

Devant le raz-de-marée électoral du MPLA,

Jonas Savimbi reprend les armes,

Dos Santos est pris au dépourvu.

« L'insurrection renouvelée de l'UNITA

s'est avérée relativement réussie car

la plupart des unités d'élite du groupe

avaient gardé les armes et étaient

restées opérationnelles.

Par contre, les troupes du gouvernement

avaient démobilisé leurs forces

de façon disproportionnée et se trouvaient

donc une position de faiblesse relative » [4].

Cinq des dix-huit capitales provinciales

tombent entre les mains des rebelles,

la victoire de l'UNITA est désormais plausible.

Dos Santos qui a impérativement besoin

d'armes et d'argent ne peut pas compter

sur le bloc de l'Est qui n'existe plus.

Il envoie désespérément des signaux

de détresse à Paris. Mais si Mitterrand préside

à l'Elysée, Edouard Balladur gouverne à Matignon,

et Alain Juppé est incontournable au Quai d'Orsay.

De surcroît, François Léotard, « bien connu

à l'époque pour être l'un des plus grands

partisans de l'UNITA à Paris » [5],

est ministre de la Défense.

Le refus du gouvernement français

est catégorique : "On ne livre pas

d'armes à un pays en guerre".

« S'esquisse alors une diplomatie parallèle,

avec, par ordre d'entrée en scène,

le fils aîné du président,

Jean Christophe Mitterrand, ancien membre

de la cellule africaine de l'Elysée. » [6]

En fait, d'après les travaux de Global witness,

le gouvernement angolais prend d'abord

langue avec l'ancien expert

de l'Afrique australe auprès du parti socialiste,

Jean-Bernard Curial, qui à son tour contacte

le fils Mitterrand.

Ce dernier lui aurait suggéré de

se rapprocher d'un certain Pierre Falcone,

« à la tête d'un groupe de sociétés,

Brenco International, basé à Paris.

Falcone est aussi le conseillé clé

de la Sofremi (Société française d'exportation

des matériels et systèmes

du ministère de l'Intérieur), organisation

mi-privée mi-étatique opérant sous

les auspices du ministère français

de l'Intérieur à la tête duquel se trouvait

Charles Pasqua » [7].

Le mystérieux homme d'affaires est aussi

très lié à Jean-Charles Marchiani,

conseiller du ministre de l'Intérieur.

Pour le clan Pasqua, Balladur n'a pas

conscience du nouvel enjeu

stratégique angolais : le pétrole [8].

Les immenses nappes d'huile noire nichées

dans le sous-sol du pays

attisent les convoitises.

Les Américains ont cessé leur soutien

à l'UNITA et font désormais les yeux doux

à Dos Santos.

La France doit absolument jouer sa partition.

Pierre Falcone qui sait où se procurer les armes

est mis en contact avec le président angolais.

C'est le début d'une idylle sans fin

entre les deux hommes. « Un contrat de livraison

d'armes est conclu en 1994 entre

la société de Falcone, Brenco, et l'Angola,

pour un montant de 4 milliards de dollars

via une société slovaque [ZTS-Osos],

dont Arcadi Gaydamak, ex-colonel du KGB

devenu homme d'affaires,

est l'un des mandataires. » [9]

Les armes sont issues

des stocks de l'ancien bloc de l'Est.

L'argent provient des préfinancements,

accordés par la banque Paribas à l'Etat angolais,

garantis sur la future production de pétrole.

Le gouvernement de Dos Santos reçoit

à cette époque un arsenal considérable :

« chars, hélicoptères, mines, lance roquettes

et pièces d'artillerie, ainsi que

six navires de guerres.

Ces armes ont été envoyées, pendant sept ans,

de plusieurs pays est-européens,

comme la Russie, la Bulgarie et le Kirghizistan » [10].

Pour faciliter les transactions occultes

en France, les lobbyistes

Ni Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères,

ni Edouard Balladur, Premier ministre, ne sont

au courant. En 2001, après les péripéties

qui vont mettre au jour ce "trafic",

le ministère de la Défense porte plainte » [11],

par le truchement du ministre Alain Richard.

Le procès s'ouvrira le 06 octobre 2008,

42 personnes sont renvoyées devant

le tribunal correctionnel de Paris.

Au banc des prévenus des noms célèbres

: Jean-Christophe Mitterrand,

Jean-Charles Marchiani, Charles Pasqua,

Jacques Attali, etc. «  Elle [l'affaire Angolagate]

va être jugée pendant six mois,

avec risque de déballage à la barre » [12].

Epilogue. Ces livraisons massives d'armes

ont changé le rapport de force sur le terrain.

Le 22 février 2002, Jonas Savimbi est abattu.

Sa mort marque la fin d'une guerre civile

qui a duré un quart de siècle et fait 500 000 morts.

Que reproche la justice aux prévenus ?

Les fondements juridiques du procès

Le 11 juillet 2008 le ministre de le Défense

Hervé Morin adresse une lettre à

Me Pierre-François Veil, avocat

de Pierre Falcone, dans laquelle il écrit :

« Il résulte de l'examen du dossier

de mon ministère, à la lumière

de vos observations, qu'en l'absence

de transit par le territoire français,

la législation relative aux opérations

de ventes d'armes et de munitions

ne s'appliquait pas, aux dates retenues

par le dossier de l'instruction,

à l'activité exercée par M. Pierre Falcone. » [13]

Décryptage. « A l'époque des ventes d'armes

vers l'Angola incriminées par l'enquête,

la loi française exigeait une autorisation

gouvernementale si les armes étaient

fabriquées en France ou passaient

par le territoire national. » [14]

Sans ce cachet officiel, le commerce d'armes

était assimilé à un trafic.

Or les armes vendues par Falcone entre

1993 et 2000 ont été livrées à l'Angola,

en provenance de l'ancien empire soviétique,

sans transiter par la France.

Par conséquent, « le ministère de la Défense,

plaide [Hervé Morin], n'aurait jamais du

déposer plainte dans cette affaire

de commerce d'armes puisqu'il n'y a jamais eu

de « trafic » à proprement parler

à partir de la France » [15].

A la suite de cette missive, Hervé Gattegno

rappelle que « le dossier Falcone pourrait

se réduire à une affaire financière

[abus de biens sociaux] ordinaire,

dénuée de son caractère le plus explosif » [16].

Toutefois, dans un article publié le 22 juillet 2008,

sur le site de Bakchich.info, Eric Laffitte

ironise sur la bourde juridique

du ministre de la Défense Hervé Morin.

« Avant d'envoyer cette lettre incongrue

[à l'avocat de Falcone] le ministre aurait du

demander conseil à sa collègue de la Justice

ou du moins au Parquet …

Et on lui aurait expliqué que dans

ce dossier, l'accusation repose

sur un délit précis, le courtage en commerce

illicite d'armes.

A ne pas confondre justement avec

le trafic d'armes stricto sensu.

Le concept juridique précis de courtage,

régi par une ordonnance de 1939,

oblige tout négociant en armes œuvrant

depuis Paris à obtenir une autorisation

en bonne et due forme

du ministère de la Défense.

Et peu importe, dans ce cadre juridique

que les armes aient physiquement

transité ou pas, par le territoire français. » [17]

Or, d'après les investigations de Global witness,

plusieurs contrats de la livraison d'armes

à l'Angola ont été signés sur le territoire français.

« Lorsque les premiers contrats d'armes

entre ZTS-Osos et l'Angola ont été signés

en 1993 et 1994, Brenco France se trouvait

au 56 avenue Montaigne à Paris.

Il est intéressant de noter que cette adresse

et les numéros de téléphone et fax de Brenco

figurent sur le contrat initial de 47 millions de dollars,

avec la signature de Pierre Falcone (…)

Le caractère vraiment français

du dossier original de 47 millions de dollars

devrait être souligné (…)

Non seulement le document était

écrit en français, mais il aurait aussi été

envoyé à Elisio de Figueiredo

[ambassadeur itinérant de l'Angola]

qui était posté à Paris. » [18]

Dans cette optique, la plainte formulée

par le ministère de la Défense en 2001

est fondée.

D'ailleurs, le procureur Jean-Claude Marin,

a maintenu les charges qui pèsent contre les prévenus.

Quels sont les principaux acteurs de l'Angolagate ?

Pierre Falcone

Homme d'affaire français et homme de main

du président angolais Eduardo Dos Santos,

il était directeur associé de la Brenco International,

pièce maîtresse de l'Angolagate.

Falcone a, en outre, été un conseiller

très influent (1989 à 1997) auprès de

la Société française d'exportation

de matériel militaire

du ministère de l'Intérieur (Sofremi),

crée en 1986 sous l'égide de Charles Pasqua.

La Sofremi avait pour but, entre autres,

de « négocier des contrats de vente

d'équipement de communication et

de surveillance aux forces de police étrangères » [19].

Placé en détention provisoire entre 2000 et 2001,

il prend la fuite en 2003 grâce

au statut d'ambassadeur à l'Unesco

que lui accordé l'Angola.

Le 11 décembre 2007, il a été condamné

à un an de prison ferme pour une histoire

de détournements de fonds

au préjudice de la Sofremi.

Le 18 janvier 2008, c'est pour fraude fiscale

qu'une peine de quatre ans de prison ferme

et 37 500 euros d'amende est prononcée

contre lui par le tribunal correctionnel de Paris [20].

Dans l'affaire Angolagate, des soupçons

de corruption et de vente illicite d'armes

pèsent sur Pierre Falcone.

L'article publié par le quotidien Le Monde

à ce propos est édifiant : «  Installés dans

un hôtel particulier de l'avenue Kléber

dans le 16e arrondissement de Paris,

dotés d'hôtesses ravissantes,

les bureaux de Brenco reçoivent des visiteurs

réguliers. Lorsque Jean-Christophe Mitterrand,

Jean-Charles Marchiani, l'écrivain Paul-Loup Sulitzer

ou le directeur général de RMC, Jean-Noël Tassez,

sont annoncés, le rituel est immuable.

Isabelle Delubac descend au sous-sol,

où sont entreposées des espèces,

et remplit des enveloppes, sans oublier

de noter sur ses fameux "mémos"

les initiales parfois codées des bénéficiaires

ainsi que la date et le montant alloué. » [21]

Arcadi Gaydamak

Nationalités russe, israélienne, française

et canadienne. Ex-colonel du KGB converti

dans les Affaires. Il est au moment des faits

le mandataire de la société slovaque ZTS-Osos,

qui a fourni, pour le compte de Brenco,

la majeure partie des armes vendues à l'Angola.

Gaydamak a donc été le partenaire de Falcone.

Il a été décoré de l'Ordre du mérite français par

J-C Marchiani. Milliardaire, l'ancien agent

des services secrets russes a

« officiellement changé de nom en Israël

en 1998 pour prendre celui de Arye Barlev » [22].

Un mandat d'arrêt international lancé

par la France pèse sur lui.

Arcadi Gaydamak est en fuite depuis 2000.

Jean-Charles Marchiani

« Jean-Charles Marchiani, 64 ans, natif

d'un petit village corse voisin de

celui de Charles Pasqua, a été

un authentique agent secret.

Du moins jusqu'en 1970, où il sera évincé

du SDECE (ancêtre de la DGSE,

Direction générale de la sécurité extérieure) ».

Dans ce portrait dressé par le quotidien Libération

dans sa livraison du 26 avril 2008,

Jean-Charles Marchiani est présenté

comme l'« homme à tout faire de la galaxie Pasqua ».

Ancien Préfet du Var, et ex-député

européen R.P.F, il a été condamné

en décembre 2005 par le tribunal

à trois ans de prison, « pour avoir perçu

des commissions en marge

de la vente de chars militaires au Moyen-Orient (…)

quelques semaines plus tard, il est condamné

à un an de prison dans une autre affaire

de commission occulte, perçue en marge

d'un marché portant sur

la sécurisation des bagages à Roissy » [23].

Dans l'affaire Angolagate, il aurait reçu de Falcone

et compagnies des sommes importantes

pour faciliter les ventes d'armes à Dos Santos.

« Une note saisie dans les bureaux

de l'intermédiaire fait état de virements

à un surnommé « Robert » : « Nous avons avancé

450 000 dollars, ils en attendent encore

un million. Nous croyons savoir que

cet argent devrait être utilisé pour

la campagne au parlement européen »

de 1999, celle du RPF. Marchiani dément

être le « Robert » en question, en contradiction

avec plusieurs protagonistes.

Un général angolais lui écrira ainsi

cette lettre à la veille de

la présidentielle de 1995 : « J'aimerais

vous apporter encore une fois mon soutien

dans ces élections et nous continuerons

à faire de notre mieux pour

que les bonnes personnes

soient aux bonnes places. » [24]

Jean-Christophe Mitterrand

« Sans Jean-Christophe Mitterrand,

il n'y aurait pas eu de contrat (de vente d'armes),

de la même manière que sans femme,

il n'aurait pas de bébé », avait expliqué

un des prévenus aux enquêteurs [25].

Fils du président défunt, il est

conseiller à la présidence de la République

Chargé des affaires africaines (1982-1992)

et conseiller d'une fondation suisse financée

par Elf entre 1992 et 1996.

Ex-commercial free-lance en Afrique Noire,

il est soupçonné dans l'affaire Angolagate

de complicité de commerce illicite d'armes

et recel d'abus de biens sociaux.

Il aurait reçu 2,6 millions de dollars de Falcone [26],

pour « avoir donné des conseils géopolitiques »,

précise Mitterrand. « Je n'ai jamais parlé

d'armes avec monsieur Falcone,

jamais en sept ans.

Il ne m'a jamais parlé de munitions. » [27]

Charles Pasqua

Ex-président du R.P.F., ex-président de la région

Hauts-de-Seine, tête pensante du réseau

qui porte son nom, ministre de l'Intérieur

des gouvernements Chirac (1986-1988)

et Balladur (1993-1995).

Il est mis en examen pour "trafic d'influence,

recel d'abus de biens sociaux".

« Charles Pasqua est soupçonné

d'avoir perçu 450.000 dollars en

1998 et 1999 de la société Brenco

pour favoriser les intérêts

du régime de M. Dos Santos

au Parlement européen » [28].

Paul-Loup Sulitzer

Auteur de best-sellers, conseiller

en tous genres (banque, finances,

presse auprès de Pierre Falcone).

Il sera devant la barre pour «  "recel d'abus

de biens sociaux" en raison des 380. 000 euros

qu'il a perçus de l'homme d'affaires

Pierre Falcone, auteur principal

de la vente d'armes présumée illégale

pour un montant de 790 millions de dollars

entre 1993 et 2000 » [29].

Jacques Attali

Conseiller "spécial" auprès du chef de l'Etat (1981-91).

Ancien président de la Banque européenne

pour la reconstruction et le développement (BERD),

président d'ACA, société de conseils,

conseiller auprès de nombreux

présidents africains.

Me Guilloux, avocat de Falcone remet

à Hubert Védrine, chez Jacques Attali,

un dossier sollicitant un arrangement

à propos du redressement fiscal signifié

à ZTS-Osos, la société slovaque impliquée

dans l'Angolagate.

M. Védrine avait jusque-là évité

tout contact avec Me Alain Guilloux.

« "Je préfère l'Attali intellectuel

à celui qui fait ce genre de démarche",

dira aux enquêteurs M. Védrine.

Quelques mois plus tard, M. Attali se voit

confier une mission sur le microcrédit en Angola,

qui sera payée 200 000 dollars

par une société de M. Falcone » [30].

Il sera dans le prétoire le 06 octobre.

L'Angolagate avatar de la Françafrique

Après avoir été à l'origine de la plainte

qui a déclenché l'Angolagate,

l'Etat français a par la suite freiné

des quatre fers.

La France se déjuge. Aujourd'hui,

le ministère de la Défense par qui

le scandale est arrivé, cynique,

se fait même l'avocat de ceux qu'elle

a fait asseoir hier sur le banc des "accusés".

«  Hervé Morin, ministre de la défense

de Pierre Falcone », titrait à juste titre Libération,

dans sa livraison du 19 juillet 2008.

En effet, dans la correspondance adressé

le 11 juillet 2008 à Me Veil, avocat de Falcone,

M. Morin affirme, que son département ministériel

n'aurait jamais du engager

des poursuites judiciaires

contre les prévenus, « puisque, dit-il, il n'y a

jamais eu de « trafic » à proprement parler

à partir de la France » [31].

Un grand écart juridique visant

à affaiblir l'accusation.

En fait, le ministre de la Défense marche

au pas et dans les pas de sa hiérarchie.

Depuis son accession à la magistrature suprême,

Nicolas Sarkozy s'échine en effet

pour déminer le terrain de l'Angolagate.

Primo, l'Elysée protège sans ménagement

le président angolais, parrain du système Falcone,

contre les investigations redoutables

du juge Philippe Courroye.

« Le président Dos Santos a d'ores et déjà

obtenu de ne pas être directement impliqué.

"Ce dossier est de nature totalement judiciaire.

L'instruction est bouclée" et

"aucun ressortissant angolais

n'est poursuivi", précise-t-on ainsi à l'Elysée. » [32]

Pour que le message soit plus audible à Luanda,

Nicolas Sarkozy déclare dans les colonnes

du Jornal de Angola : « Cette affaire concerne

un citoyen français [Falcone] poursuivi (…)

pour ne pas avoir respecté

des dispositions légales françaises » [33].

Explication, il s'agit du Falconegate

et non de l'Angolagate.

Mais Dos Santos ne l'entend pas

de cette oreille, pour le parrain

il est hors de question de sacrifier

ses filleuls, Falcone et Gaydamak,

sur l'autel de la justice française.

Déjà, le 26 février 2001, à l'occasion

de l'accréditation du nouvel ambassadeur

de France en Angola,

Eduardo Dos Santos déclarait :

« Je n'ai pas l'intention de m'immiscer

dans des affaires intérieures françaises,

mais j'ai le devoir de reconnaître que

certaines des personnes actuellement visées

dans des procédures judiciaires en France

ont donné une contribution immense

au développement de l'amitié et

de la coopération entre l'Angola et la France.

Monsieur Pierre Falcone, par exemple,

à travers son entreprise, a soutenu

l'Angola à un moment crucial de son histoire (…)

Pour l'acquisition d'équipements militaires

dont il avait besoin à l'époque,

le gouvernement d'Angola a trouvé

le concours de l'entreprise ZTS-Osos qui n'est pas

même une entreprise de droit français (…)

Toute cette confusion délibérée s'était déjà

produite avec monsieur Tarallo et je dois

vous avouer, Monsieur l'Ambassadeur,

qu'une telle situation nous laisse

simplement perplexes.

Ceux qui oeuvrent par des actions concrètes

et d'ampleur au rapprochement entre

nos deux pays finissent

par avoir des problèmes (…)

Monsieur l'Ambassadeur, l'amitié est

comme une plante qui, si elle n'est pas

régulièrement arrosée et fertilisée, s'assèche » [34] 

Deux mois plus tard, le président Angolais s'immisce

dans les affaires intérieures de la France.

A travers correspondance adressée

à Jacques Chirac il demande

au pouvoir exécutif d'arrêter la machine judiciaire,

le tout, toujours, sur fond de menace à peine voilée :

« Monsieur le Président (…) le gouvernement

d'Angola a pris connaissance, à travers

la presse, de l'existence d'une action judiciaire

contre son mandataire officiel,

M. Pierre Falcone, dont les répercussions

causent de graves préjudices moraux

à la République d'Angola et peuvent

constituer un obstacle aux bonnes relations

existant entre nos deux pays (…)

La France n'est pas un fournisseur habituel

de l'Angola en matériels d'armement ;

de telle sorte qu'à aucun moment

les équipements en cause n'ont transité,

ni juridiquement ni matériellement,

par le territoire de la République française

ou à travers des entreprises ou

des établissements français

[argument repris par Hervé Morin, NDLR]

(…) Pour cette raison, il nous paraît

indispensable que l'Etat français,

qui est impliqué dans ce processus,

retire les plaintes qu'il a déposées

aussi bien pour fraude fiscale

que pour vente illicite d'armes. (…)

Nous souhaitons également retenir

l'attention de votre pays sur l'injustice

qui nous paraît actuellement commise

à l'encontre de notre mandataire, M.Falcone.

M.Falcone est un grand ami de l'Angola. » [35]

L'homme fort de Luanda omet de dire

qu'avant d'être un grand ami de l'Angola,

Falcone, comme son acolyte Gaydamak,

est d'abord son protégé,

l'homme des basses besognes.

« La société Brenco constituait une sorte

d'interface entre la présidence angolaise

(P. Falcone et son associé Arcadi Gaydamak

ont reçu des passeports angolais

et étaient « conseillers » du Président ;

Brenco versait des sommes à diverses personnes

et organismes français et angolais

avec l'accord ou à la demande du Président angolais...)

et des vendeurs d'armes de l'Europe de l'Est

(notamment l'entreprise slovaque ZTS-Osos

liée à Falcone). » [36]

Falcone et Gaydamak ont arrosé

le microcosme mondain parisien,

sur ordre du parrain Dos Santos.

Les deux chargés de mission avaient accès

aux comptes du gouvernement angolais ouverts

auprès de la banque Paribas à Paris et à Genève.

Certains ont parlé de la « privatisation de la guerre ».

Une partie de ce trésor garanti sur l'or noir angolais

s'est retrouvée sur les comptes particuliers

de Falcone, du milliardaire Gaydamak et…

du président Dos Santos, entre autres.

« L'enquête chiffre à 397 millions de dollars

les profits encaissés personnellement

sur les ventes d'armes par Pierre Falcone

et Arcady Gaydamak. » [37]

De même, dans le cadre d'une enquête

parallèle à l'Angolagate menée par

le juge genevois Daniel Devaud,

un compte du parrain, alimenté par Falcone,

a été découvert au Luxembourg.

« Confirmation de la brigade financière

française : les comptes basés au Luxembourg

-soit 37,1 millions de dollars- sont bel et bien

au nom de M. Dos Santos » [38],

écrivait Simon Petite en avril 2005.

L'Elysée est donc au courant

des détournements faramineux des avoirs

du peuple angolais par Dos Santos et ses affidés.

Après avoir mis le parrain à l'abri

des poursuites judiciaires, l'Etat français met

les bâtons dans les roues de la justice

pour permettre à ses filleuls de s'en sortir.

D'après « d'insistants échos venus

du sommet de l'Etat, Nicolas Sarkozy veut

nommer le juge Courroye

[qui dirige l'enquête, NDLR] à la tête

du parquet de Paris, ce dernier devra

peut-être se déjuger au grand jour » [39].

Qu'est-ce qui explique

toutes mesquineries élyséennes ?

Le pétrole. Le business est florissant

dans le pays de Dos Santos.

L'Angola est devenu le premier

producteur d'or noir de

tout le continent africain.

Les intérêts de Total, fleuron

de l'industrie française et bien

implantée sur place,

sont directement menacés.

A titre d'exemple, en octobre 2004,

« Manuel Vicente, le tout-puissant

patron de la Sonangol

[Société national des hydrocarbures

en Angola, NDLR], a adressé

une lettre à Thierry Desmarest,

le PDG de Total, lui signifiant que

l'Etat angolais allait récupérer

les concessions du bloc 3/80

qui arrivent à échéance.

Stupeur dans les étages supérieurs

de la Tour de la Défense,

siège de la compagnie (…)

D'après nos sources, c'est maintenant

le bloc 17 qui va faire l'objet du chantage » [40].

Pendant plusieurs années,

le soldat Chirac a tenté de résister

aux assauts du Parrain, du moins

a-t-il fait semblant.

Son épigone, lui, a opté

pour la danse du ventre.

« Nicolas Sarkozy s'est rendu

à Luanda, le 23 mai, les bras chargés

de promesses de cadeaux.

Le chef de l'Etat a ainsi annoncé

la réouverture des bureaux

de l'Agence française de développement (AFD),

qui avaient fermé suite au refus angolais

de payer une dette qui, à l'origine,

n'était que de 60 millions FF,

soit 9,1 millions d'euros…

A peine quelques fûts

d'une cargaison de pétrole.

Cette dette va sans doute passer

à l'ardoise magique en Club de Paris.

Une victoire pour le Palais rose. » [41]

Il était accompagné des dirigeants

de Total, Castel, EADS, Bolloré,

CMA-CGM, AIR France, Thales,

et de la Société générale.

Avant de prendre congé de son homologue,

il lui a lancé, les yeux dans

les yeux : « Je vous attends à Paris

en 2009, vous allez reprendre

vos habitudes sur la Côte d'Azur » [42].

Une fois le scandale de l'Angolagate étouffé,

le parrain ira peut-être bronzer

sur la croisette avec les crèmes solaires

de l'Elysée et l'argent spolié aux Angolais,

pendant ce temps l'espérance de vie

de ses sujets est de 41 ans,

40 % d'entre eux vivent sous le seuil

de pauvreté absolue, 62 % n'ont pas

accès à l'eau potable,

il y a 8 médecins pour 100 000 habitants

et 1 400 décès pour 100 000 accouchements [43].

Dos Santos est au pouvoir depuis 29 ans

et n'a pas l'intention de prendre sa retraite,

le système Falcone a lui permis

de détourner les ressources de l'Etat

et d'enrichir sa clientèle…

Tant pis. Avant le 6 octobre l'Elysée tient

à désamorcer la bombe Angolagate.

Les Angolais seront sacrifiés sur l'autel

du chiffre d'affaires de Total et

des entreprises françaises en Angola.

Il y a un an l'"homme de la rupture " déclarait

pourtant la main sur

le cœur : « Je veux lancer à tous

les Africains un appel fraternel pour leur dire

que nous voulons les aider à vaincre

la maladie, la famine et la pauvreté

et à vivre en paix.

Je veux leur dire que nous déciderons

ensemble d'une politique d'immigration

maîtrisée et d'une politique

de développement ambitieuse.

Je veux lancer un appel à tous ceux

qui dans le monde croient aux valeurs

de tolérance, de liberté, de démocratie

et d'humanisme, à tous ceux qui sont

persécutés par les tyrannies

et par les dictatures, à tous les enfants

et à toutes les femmes martyrisés

dans le monde pour leur dire que

la France sera à leurs côtés,

qu'ils peuvent compter sur elle » [44].

Le pétrole rend amnésique,

tous les psychologues vous le diront.

Fiche du DOSSIER. Diplomatie, Business

et Dictatures.

L'Afrique prise au piège françafricain

à télécharger en pdf

A lire

Communiqué de Survie du

6 octobre 2008 : Angolagate. Les pressions

politiques exercées au nom

des intérêts économiques français

ne doivent pas entraver la justice.

A télécharger

Afin d'interpeller l'opinion sur

la « diplomatie business » de la France

en Afrique et ses graves conséquences

en terme de soutien aux dictatures et

de pillage des ressources naturelles,

Survie publiera un dossier

intitulé Diplomatie, Business et

Dictatures. L'Afrique prise

au piège françafricain

A télécharger en pdf le 4 pages

de vulgarisation "Diplomatie, Business

et Dictatures. Les dessous de la présence

économique de la France en Afrique"

[1] Natalie Funès, « Pendant l'Angolagate,

le business continue ».

[2] Renaud Lecadre, « En trombe, Nicolas Sarkozy

solde les comptes de l'Angolagate »,

Libération, vendredi 23 mai 2008.

[3] Les Affaires sous la guerre, Armes, pétrole

& argent sale en Angola,

Global witness, Marseille, Agone, 2003, p.21.

[4] Idem.

[5] Global Witness, déjà cité, p.42.

[6] Pascale Robert Diart, « Mieux qu'un

polar : l'angolagate », Le Monde.fr, 05 août 2008.

[7] Global witness, déjà cité. p.42.

[8] Cf. Paul Barril, « Former Aide : Mitterrand Case,

"Disaster for France" », Reuters, 23 décembre 2000.

[9] Pascale Robert Diart, déjà cité.

[10] Antonio Garcia, « Le tribunal jugera

42 personnes », voire

RFI, http://www.rfi.fr/actufr/articles/0...

[11] Pascale Robert Diart, déjà cité.

[12] Renaud Lecadre, déjà cité.

[13] Hervé Gattegno, « Affaires-Angolagate 

: la lettre qui change tout », Le Point, 17 juillet 2008.

[14] Fabrice Tassel, « Hervé Morin, ministre

de la défense de Pierre Falcone »,

Libération, samedi 16 juillet 2008.

[15] Nicolas Beau, « L'étudiant en droit

Morin peut mieux faire », Bakchichinfo, mardi 22 juillet 2008.

[16] Hervé Gattegno, déjà cité.

[17] Nicolas Beau, déjà cité.

[18] Global witness, Les Affaires sous

la guerre, Armes, pétrole & argent sale

en Angola, Marseille Agone, 2003.

[19] Idem, p.44.

[20] « Pierre Falcone condamné à quatre ans

fermes pour fraude fiscale », dépêche AFP

du vendredi 18 janvier 2008.

[21] Pascale Robert-Diard, déjà cité.

[22] Global witness, déjà cité.

[23] Renaud Lecadre, « Marchiani,

l'homme de l'hombre qui

embarrasse Sarkozy », Libération, samedi 26 avril 2008

[24] Idem

[25] Pascale Robert Diard, déjà cité.

[26] « Angolagate, le tribunal jugera

42 personnes », cf. le site Internet

de Rfi, http://www.rfi.fr/actufr/articles/0...

[27] Angolagate : Jean-Christophe Mitterrand

se dit "totalement innocent", cf. interview

accordée à Jean-Philippe Deniau sur

Franceinfo le 18 septembre 2008,

http://www.france-info.com/spip.php...

[28] « Angolagate : 42 accusés pourraient

être jugés », Nouvelobs.com, 23 juin 2008.

[29] « Maintien du contrôle judiciaire de

Sulitzer dans "l'Angolagate" »,

dépêche Reuters publiée le 24 octobre 2007 à 18h48.

[30] Pascale Robert Diard, déjà cité.

[31] Nicolas Beau, « L'étudiant en droit Morin

peut mieux faire », Bakchichinfo, mardi 22 juillet 2008.

[32] Marianne Enault, « Angola 

: réconciliation express », leJDD.fr,

http://www.lejdd.fr/cmc/internation...

[33] Idem

[34] « L' « Angolagate » vu d'Angola,

« l'amitié est comme une plante »,

Politique africaine, n°82 juin 2001.

[35] « José Eduardo Dos Santos

à Jacques Chirac : « Retirez vos plaintes »,

Le Nouvel Observateur, nº1907, semaine du jeudi 24 mai 2001.

[36] « L' « Angolagate » vu d'Angola,

« l'amitié est comme une plante »,

Politique africaine, n°82 juin 2001.

[37] Gilles Trequesser, « L'accusation résiste

aux assauts contre le procès « Angolagate » »,

Le Point, 29 juillet 2008.

[38] Simon Petite, « La Suisse va rendre

des millions à l'Angola », Le Courrier,

samedi 02 avril 2005.

[39] Hervé Gattegno, « Affaires-Angolagate 

: la lettre qui change tout »,

Le Point, 17 juillet 2008.

[40] La Lettre du continent, n°458, 11 novembre 2004

[41] La Lettre du continent, n°542, 5 juin 2008.

[42] Idem.

[43] Rapport sur le développement humain 2007/2008

[44] Discours de Sarkozy le soir de son élection


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--
J-L K
Sent from Kigali, Rwanda

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