Guillaume Néry:
Guillaume Néry entame samedi à 27 ans ses neuvièmes championnats
du monde d'apnée en poids
constant au Dean's Hole Blue
de Long Island aux Bahamas.
En 2002, à 20 ans, il descend
à 87 mètres, devenant le plus jeune
recordman du monde de l'histoire
de l'apnée. Engagé dans deux
disciplines à poids constant
(à la seule force des muscles
des jambes et des bras, avec et
sans palmes), il nous fait découvrir
la philosophie de ce sport
où la performance n'est pas la finalité.
Dans quel état d'esprit êtes-vous
à l'approche de ces nouveaux
championnats du monde ?
Il est temps que ça arrive.
Depuis trois semaines que je suis
sur place, la fatigue s'est accumulée
avec une dernière phase
d'entraînement «profonde».
Progressivement, on enchaîne
de plus grosses performances afin
de s'acclimater à la profondeur,
jusqu'à atteindre un seuil
quasi maximal. A Nice, avant
de partir, j'avais retrouvé un niveau
proche des 90 mètres pour atteindre
105 mètres lors de mes
dernières plongées. Sans palmes,
à poids constant, je suis arrivé
à 80 mètres, ma meilleure
performance jusque-là.
C'est une discipline
nouvelle pour moi.
Par quel cheminement en
êtes-vous venu à
la plongée en apnée?
J'ai commencé par hasard à 14 ans.
Comme tous les gamins,
on se lançait des défis.
Dans le bus, en rentrant de l'école,
il fallait retenir le plus longtemps
sa respiration. Je me suis pris
au jeu, me suis renseigné sur
la pratique de l'apnée.
Il se trouvait qu'à l'époque,
le seul club se trouvait à Nice,
où j'habite. Une aubaine.
Je me suis inscrit, c'est
devenu une obsession.
L'apnée est plus qu'un
simple loisir. Il y a derrière toujours
cette volonté d'aller au bout
de cette passion. Plus que le temps,
j'ai cherché à tendre vers
la profondeur. L'apnée statique
ne m'intéresse pas.
Aller toujours plus loin
est votre leitmotiv?
La profondeur fait partie de l'activité
mais je ne suis pas obsédé
par la performance. Le simple fait
d'être en contact, en harmonie
avec l'élément est quelque chose
en soit de magique. En tant
qu'apnéiste, c'est ce que l'on aime,
ce que l'on recherche.
L'osmose et la communion
avec l'élément.
C'est en résumé la philosophie
que l'on associe généralement
à l'«école de Nice» ?
Après le film le Grand Bleu, un groupe
s'est constitué pour partager
cette passion. Le but était
de rassembler les gens pour
pratiquer l'apnée ensemble,
collectivement. Autour de cet
état d'esprit gravitent un tas
de notions spécifiques
à l'apnée : la patience, le respect
de l'élément. Ce n'est pas,
contrairement à ce que l'on
pourrait croire, la course à
la performance à tout prix.
Nous prenons le temps
de progresser. Cela surprend
parfois d'autres apnéistes.
Bien sûr, pendant la compétition,
on cherche à être le meilleur,
mais il y a une manière de faire.
Le chemin pour y parvenir
est aussi important que
la profondeur à atteindre.
Plus jeune recordman à 20 ans,
vous avez battu à quatre reprises
le record du monde dans
votre discipline. Où
trouvez-vous votre motivation?
Tant qu'au quotidien, j'aurai
cette envie de découvrir,
explorer en cherchant
à repousser mes limites,
je continuerai. A force d'expérience,
de travail et de patience,
on peut aller voir un peu
plus loin à chaque fois.
Battre des records, c'est sympa
mais ce qui est génial c'est
tout le cheminement, toute
la recherche que l'on a mise
en œuvre dans la quête
de l'inconnu. La compétition,
c'est un prétexte, pas la finalité.
Quelle est cette
finalité justement ?
L'apnée, c'est un voyage intérieur
que l'on peut parfois associer
à un moment de méditation.
On est centré sur ses sensations.
A quelques minutes de plonger,
on ne fait jamais complètement
le vide, on reste ouvert aux autres,
à l'extérieur. C'est essentiel.
Là, on s'éloigne des clichés
du Grand Bleu. Après, quand
on descend, on sent l'eau
qui défile, la pression qui écrase
les poumons au fur et à mesure,
on recherche à positionner
au mieux notre corps avec l'élément.
C'est une maîtrise et une
connaissance de soi qui est
assez poussées. Il ne sert à rien
de vouloir se battre contre
la pression. L'apnée ne doit
pas être une lutte.
Martin Stepanek a récemment
établi un nouveau record
du monde (-122 mètres).
Pensez-vous que l'on peut
aller encore plus loin aujourd'hui?
Evidemment. Ce sport est jeune,
il a réellement pris son essor
depuis 2001 et est aujourd'hui
en pleine expansion.
Il y a plus de pratiquants,
de nouveaux talents ont éclos,
ça va super vite. Sans compter que
les records ne sont que
des chiffres. Atteindre la barrière
des 100 mètres en plongée
à poids constant et avec palme
était il y a cinq ou six ans
quelque chose d'inconcevable.
Aujourd'hui, on est plusieurs
à atteindre 100 mètres.
Les barrières mentales
sont tombées. Bientôt
on dépassera les 130 mètres,
c'est sûr.
Vous parlez de talent. Quelle est
la part entre l'inné et
l'acquis dans ce sport ?
Ce sport n'est pas différent
d'autres disciplines. Il y a
des champions qui ont ce
quelque chose de plus,
qu'ils ont travaillé pour arriver
au meilleur niveau. Mais
quelqu'un qui n'a pas de
«talent» à la base peut progresser.
Il n'y a pas plus de spécificités
dans ce sport qu'il y en a ailleurs.
La seule différence peut-être
est qu'il n'y a pas de recette miracle.
Il n'y a pas de méthode
d'entraînement unique
pour arriver top niveau.
D'un apnéiste à l'autre,
les méthodes de travail sont
diamétralement opposées.
C'est d'ailleurs assez déroutant.
C'est un mystère difficile
à élucider. On a continuellement
le sentiment d'écrire une page
de l'histoire de ce sport.
Quelle est la clé
d'une plongée réussie ?
Il y a un maître mot
en apnée : le relâchement,
le lâcher prise. Avoir
ce détachement par rapport
à la performance pour être
avant la plongée en harmonie
avec la mer, être concentré
au maximum sur l'instant présent.
Il faut être libéré de
toute cette pression. Mentalement,
il faut prendre un certain
recul avec les risques tout en
étant vigilant et physiquement,
arriver à être efficace en
avançant sans consommer.
Physique et mental fonctionnent
ensemble. Mais dès que l'un fait
défaut à l'autre… C'est une alchimie,
un équilibre à trouver.
Quels sont vos objectifs pour
ces championnats du monde ?
Je ne me suis pas fixé d'objectifs
précis pour cette échéance.
2008 a été une année éprouvante
(Champion du monde par équipe
et record du monde). 2009 est
une année de transition.
L'objectif pour moi est de prendre
un maximum de plaisir,
de prendre le temps de
découvrir une nouvelle discipline,
de renouveler les challenges.
Être finaliste dans les
deux disciplines seraient
déjà une bonne chose.
Après, si j'accroche un podium,
voire une première place,
tant mieux. Mais l'essentiel n'est
pas dans le résultat.
Je prends ces championnats
avec détachement.
--
J-L K
Sent from Kigali, Rwanda
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