9/30/09

Révolte silencieuse pour sauver l’Unesco

Avant l'élection d'un nouveau directeur général

« Patrimoine commun de l'humanité »,

l'Organisation des Nations unies

pour l'éducation, la science

et la culture (Unesco) doit être défendue

et préservée.

C'est pourquoi, de l'intérieur, est

dénoncée la politique mise en œuvre

ces dix dernières années.

L'élection, ce mois-ci, d'un nouveau

directeur général revêt

une importance cruciale pour l'organisation.

Par Gabrielle Capla

C'est le 31 mai 2009, date de clôture

du dépôt des candidatures, qu'a

officiellement commencé l'élection

du prochain directeur général de

l'Organisation des Nations unies

pour l'éducation, la science

et la culture (Unesco).

Appelé à partir du 7 septembre à choisir

parmi neuf candidats, le Conseil exécutif

(lire « Trois instances ») recommandera aux

cent quatre-vingt-treize États membres

de la Conférence générale celle ou celui

qui sera élu pour succéder

au Japonais Matsuura Koichiro.

La lutte pour occuper ce poste prestigieux

fait rage entre les États ayant présenté

des candidats et les bureaucrates

les plus haut placés de l'organisation, attachés,

depuis leur bastion du Secrétariat,

à défendre ou à consolider leurs places.

La langue de bois qu'ils utilisent pour masquer

leurs intérêts ne peut occulter que la plupart

d'entre eux ont sacrifié, sous le magistère

de M. Matsuura (1999-2009),

les valeurs fondatrices de l'Unesco.

Initialement conçue en 1945 pour devenir

l'institution chargée de la veille intellectuelle

au sein du système des Nations unies,

cette organisation avait un objectif

des plus nobles : « Les guerres prenant

naissance dans l'esprit des hommes,

c'est dans l'esprit des hommes qu'il faut

élever les défenses de la paix. » Pour y parvenir,

ses fondateurs préconisaient l'intensification

des échanges libres en matière d'éducation,

de science, de culture et de communication,

afin d'atteindre une paix fondée

sur un « idéal démocratique »,

dans le respect de la diversité culturelle

de chaque pays.

Dans un monde en crise, l'acte constitutif

de l'Unesco demeure d'une étonnante actualité.

Accusée, entre 1978 et 1980,

par la Heritage Foundation, un think tank

(« cercle de réflexion ») ultraconservateur américain,

d'abriter de dangereux communistes

en lieu et place d'intellectuels et

de Prix Nobel, l'Unesco a fait l'objet

de violentes critiques pendant la présidence

du républicain Ronald Reagan (1981-1989).

Furieux de voir un Africain — le Sénégalais

Mahtar M'Bow (1974-1987) — diriger l'Unesco,

et mécontents de son « excessive politisation  (1 »,

les États-Unis avaient claqué la porte en 1984,

privant ainsi l'organisation, l'une des tribunes

internationales où les pays du tiers-monde

peuvent s'exprimer,

de 20 % de son budget ordinaire.

En septembre 2003, encouragés par

un directeur général « ami », M. Matsuura,

les États-Unis rentrent cependant à la maison

après dix-neuf ans d'absence, reconnaissant

les « progrès considérables que

l'Unesco [a] faits pour se réformer  (2 ».

Pressé par ailleurs d'intégrer l'institution

à un moment où l'Organisation

des Nations unies (ONU) refuse d'approuver

les visées guerrières de M. George W. Bush en Irak,

Washington déclare vouloir revenir à l'Unesco

« pour marquer [son] engagement en faveur

de la dignité humaine (3) ».

Dès son retour, Washington s'oppose à l'adoption

de la déclaration et de la convention sur

le patrimoine culturel immatériel (4)

et entrave l'élaboration de la convention

pour la protection et la promotion de la diversité

des expressions culturelles.

Finalement adoptée en octobre 2005,

celle-ci entrera en vigueur le 18 mars 2007.

Vantant les « habiles qualités de leadership »

de M. Matsuura, Mme Louise Oliver, ambassadrice

américaine auprès de l'Unesco, n'en regrette pas

moins que « son pays [n'ait] pas le droit de veto,

comme au Conseil de sécurité

des Nations unies  (5 ».

Washington reprochait en son temps

à M. M'Bow de « gérer à l'africaine

une organisation dans laquelle

le manque total de transparence

des dépenses, le laxisme (...) empêchent

de savoir où l'on est  (6) ».

Après dix années de mandat de M. Matsuura,

qu'en est-il, en réalité, du bilan

de cette « réforme » tant saluée par les États-Unis ?

Si elle demeure appréciée et admirée

pour ses programmes de sauvegarde

du patrimoine de l'humanité — ils ont permis

de préserver le temple d'Abou Simbel en Égypte,

le site d'Angkor au Cambodge,

l'obélisque d'Axoum en Éthiopie — ou

sa Décennie internationale de la promotion

d'une culture de la non-violence et

de la paix au profit des enfants

du monde (2001-2010), l'Unesco remplit-elle

pour autant les objectifs que lui assigne l'ONU ?

Ambassadeur du Japon en France, M. Matsuura

a été élu directeur général en 1999 grâce

au soutien de son premier ministre et

ami d'enfance Obuchi Keizo, et

de ses promesses (non tenues) d'apporter

des fonds extra budgétaires japonais

pour les activités de l'organisation.

L'appui de la Fondation Sasakawa, l'une

des principales donatrices privées

du système des Nations unies,

dont le fondateur, Sasakawa Ryoichi,

est un criminel de guerre,

parrain des yakuzas (la mafia japonaise) (7),

fut également nécessaire.

M. Jacques Chirac, qui n'a jamais caché

son goût pour la culture nippone,

se montra lui aussi très favorable à son élection.

Pour la première fois de son histoire,

l'Unesco se trouve ainsi dirigée par

une personnalité étrangère à

ses domaines de compétence.

M. Matsuura n'a en effet aucune expérience

en matière d'éducation, de science

ou de culture. Il fait fi, par ailleurs,

des codes et règles qui régissent

l'organisation.

Après avoir prêté serment d'indépendance

par rapport à son pays, comme doivent le faire

tous les chefs des agences onusiennes,

M. Matsuura entame sa fonction de directeur

depuis... son ambassade.

Des fonctionnaires zélés lui apportent

les dossiers de l'Unesco.

Installé au pouvoir, M. Matsuura s'engage

dans la voie de la « réforme » économique.

Une politique qui lui permet d'effacer

toute trace de la gestion administrative,

mais aussi des programmes tels que

« La culture de la paix », de son prédécesseur

espagnol Federico Mayor, et de supprimer,

« pour réduire les dépenses »,

une cinquantaine de postes à haute responsabilité,

au mépris des statuts et règlements

du personnel de l'Unesco et du code

de la fonction publique internationale.

Mme Diane Dufresne, employée pendant

vingt ans au sein de... l'administration carcérale

du Canada, arrivera en tant

que directrice des ressources humaines (DRH)

pour procéder aux licenciements.

Depuis, l'Unesco a été de nombreuses fois

condamnée par le tribunal administratif

de l'Organisation internationale du travail (TAOIT).

Ces « réformes » économiques touchent

également le secteur de la culture : emblème

de l'organisation depuis 1947, publié

en trente langues — dont

le braille —, Le Courrier de l'Unesco cesse

de paraître, malgré des propositions

de financements des États membres et

la nécessité pour le Secrétariat d'avoir

une vitrine médiatique auprès

du grand public.

Des milliers de livres d'histoire, de rapports,

de recherches, de publications et

de documents concernant notamment l'Afrique,

l'Amérique latine et le monde arabe

sont détruits en 2004 et 2005,

en raison d'un manque d'espace

de rangement et de mémoire informatique !

Faute d'expérience dans le secteur

de l'éducation, M. Matsuura finance

le pilonnage des livres plutôt que,

par exemple, leur distribution dans les écoles...

Les attaques en règle se multiplient,

notamment contre la Fédération mondiale

des associations, centres et

clubs Unesco (FMACU), mise sur pied

en 1981 (sur la base d'anciens clubs Unesco

nés en 1947) pour appuyer, dans plus

de cent vingt pays, les valeurs de paix.

Les quatorze membres de son Conseil exécutif,

pourtant légalement élus, dans le respect

d'une juste répartition géoculturelle,

sont harcelés, puis écartés en 2005

par un groupe de neuf personnes que dirige

M. Eiji Hattori, un Japonais,

fonctionnaire retraité de l'Unesco,

autoproclamé président de la Fédération.

Les menaces de mettre un terme

aux relations avec cette organisation

non gouvernementale (ONG) représentant

plus d'un million et demi d'adhérents

et le non-vote du budget de 600 000 dollars

pour le fonctionnement du Conseil exécutif

« putschiste » par la Conférence générale

attestent la volonté du Secrétariat : détruire

l'indépendance et l'autonomie

de la FMACU (8).

De telles manœuvres affectent également

l'existence d'autres ONG et organismes rattachés.

M. Matsuura s'est attelé à inféoder l'Unesco

au Japon et à mettre en œuvre

des « réformes » appréciées par

Washington ; des Américains, « compétents

et qualifiés », ont été placés à de

nombreux postes-clés (9).

Recruté en 2005, sous la pression

de l'ex-première dame des États-Unis

Laura Bush (nommée par M. Matsuura

« ambassadrice de bonne volonté de l'Unesco »

jusqu'en 2012), M. Peter Smith est un

bel exemple de la composition

de cette nouvelle équipe.

Ancien parlementaire républicain de

l'Etat du Vermont sous la présidence

de Ronald Reagan, M. Smith a été accusé

de racisme lorsqu'il était professeur

à l'université de Monterey Bay,

dans l'Etat de Californie.

Embauché comme sous-directeur général

pour l'éducation, il devait restructurer

le département, dont le fameux programme

« Éducation pour tous » (EPT) est l'une

des priorités et aussi l'un des objectifs

les plus coûteux.

Pour ce faire, M. Smith s'est offert les conseils

d'une société américaine, Navigant Consulting,

qui n'avait pas la moindre compétence

dans ce secteur, mais avec laquelle, pour

« améliorer la gestion de son département »,

il a signé des contrats onéreux : « Entre juin 2005

et août 2006, pour un montant

de 2,15 millions de dollars, sans appel d'offres,

en violation des règles de l'Unesco  (10 ».

Avec l'aval de M. Matsuura.

Coupables par action et par omission

Pas plus soucieux de réduire de moitié

le nombre d'analphabètes dans le monde

d'ici à 2015 que d'éviter les gaspillages croissants

de l'organisation, M. Smith a également fait

exploser le budget « déplacements ».

Basée à Chicago, Navigant Consulting,

qui préconisait pour l'essentiel la privatisation

de l'éducation, n'avait pas de bureau à Paris,

obligeant ainsi le sous-directeur général

et son équipe à faire régulièrement des voyages

aux États-Unis.

Mis en cause, M. Smith sera contraint

de démissionner, non sans déclarer avant

de partir que les « anti-réforme »

empêchaient son action.

« On liquide l'Unesco sans le dire »,

répète-t-on dans les couloirs.

Des réactions d'indignation face

au constant mépris de M. Matsuura pour

les deux organes de direction se font sentir

ici et là.

Mais la menace réelle d'une chasse aux sorcières,

ciblant ceux qui dénonceraient la corruption

et un bilan catastrophique,

est perceptible : peu revendiquent ouvertement

de tels propos.

Outre la crainte de se voir rétrogradé, muté

ou bien bloqué dans son ascension professionnelle,

il existe une crainte véritable de perdre

plus que son poste : nombreux sont

les fonctionnaires atteints de dépression

ou en arrêt-maladie prolongé.

D'autres, reconnus pour leur intégrité

et leur professionnalisme,

sont partis, écœurés.

Au dire du syndicat du personnel,

l'Unesco Staff Union (STU), la politique mise

en place vise effectivement au démantèlement

de l'organisation, ce qu'ont dénoncé

deux rapports anonymes qui ont circulé

à la fin 2008 et en juin 2009.

Une fraction du personnel lié

à l'administration y dénonçait la corruption

et les pratiques arbitraires du directeur et

de « sa clique » qui, en l'espace de dix ans,

ont fait de l'Unesco une organisation

« inefficace et dépensière »« le gaspillage,

la fraude, l'abus de confiance et de pouvoir

tout comme le harcèlement sont

en constante croissance  (11 ».

Le texte pointait également du doigt

les États membres, la Conférence générale

et le Conseil exécutif, responsables

par leur action ou par leur inaction

du délabrement de l'organisation.

Malgré ce cri d'alarme, les pratiques

dénoncées se poursuivent.

Dès 2002 a été préconisée la publication,

tous les deux ans, d'un rapport mondial

sur une question particulière définie

par M. Matsuura lui-même.

La préparation de la première (et seule) édition

fut confiée au bureau de la prospective,

dirigée par M. Jérôme Bindé et pilotée

au plus haut niveau par un conseil

que présidait Mme Françoise Rivière,

directrice de cabinet du directeur général.

Faisant fi de la diversification des approches

intellectuelles et des origines géoculturelles

exigées par l'universalité de l'organisation,

ce « rapport mondial » — « Construire

des sociétés du savoir » — n'a intégré

que sept contributions d'auteurs

résidant dans l'hémisphère Sud,

sur les cinquante-trois commandées.

Le siège de l'Unesco se trouvant à Paris,

cette situation géographique sera invoquée

pour justifier la sur-représentation des auteurs

français en général et parisiens en particulier.

Mais, comme le remarque un rapport

du commissaire aux comptes, « cet argument,

éventuellement recevable dans le cadre

des [conférences] "Dialogues et entretiens",

perd sa pertinence lorsqu'il s'agit non plus

d'inviter des orateurs, mais de commander

des contributions écrites » dont le coût variait

non pas en fonction de la taille du texte

mais des auteurs.

Les mêmes, pour des interventions « d'une

vingtaine de minutes, devant quelques

centaines de personnes, coût[aient]

à l'organisation jusqu'à 12 000 dollars  (12 ».

Pendant la période de rédaction du rapport,

de 2002 à 2005, ont été signés « quatre-vingt-six

contrats d'honoraires pour un montant total de

526 937 euros  (13 », avec une

équipe — française — de consultants embauchée

pour des durées allant de trois jours

à trente-quatre mois, et dont la contribution a été

pour le moins discutable.

S'ils ont bien fait un travail de relecture

des textes demandés, trouvant pour la plupart

que « la concision et l'esprit de synthèse

sont à peu près les seules qualités de ces réponses,

assez banales dans l'ensemble », le gros

de leur activité a résidé notamment

dans l'écriture « des discours que le directeur

du bureau était invité à prononcer,

ou des textes qu'il était invité à publier

sous sa signature ».

Alors qu'il fut publié avec deux années de retard,

en novembre 2005, « le coût du rapport,

de 1,2 million de dollars, [est passé]

à un total de 2,3 millions de dollars »

pour « un impact limité ».

L'audit de la Cour des comptes sur les travaux

de rénovation du site Fontenoy — le siège

de l'Unesco —, fait état, lui aussi,

de dérives (lire « Etat de siège »).

L'état de délabrement dans lequel

se trouve l'Unesco au terme du mandat

de M. Matsuura est, de l'avis de nombreuses

délégations d'Etat et de presque tous

les fonctionnaires, anciens et nouveaux,

comparable à celui dans lequel se trouvent

les États-Unis après le mandat

de M. George W. Bush.

La logique d'externalisation et d'achat

de services menée jusqu'ici pour

paralyser (privatiser) l'organisation a d'ores

et déjà hypothéqué la marge de manœuvre

du prochain directeur général.

Indépendamment de l'issue du scrutin

(lire « Lutte des places »), le projet

de programmes et budgets

pour l'exercice 2010-2011 préparé par

M. Hans d'Orville, membre éminent de l'équipe

de l'actuel directeur, sera adopté ce mois-ci

par la Conférence générale.

Clairement calqué sur la politique

de l'administration Matsuura, ce « nouveau »

programme en reproduit pour l'essentiel

les travers, à ceci près qu'il est,

pour le Secrétariat, un plaidoyer pro domo.

Ainsi, les actions de redressement attendues

de la prochaine direction seront

bloquées par l'ancienne administration.

Alors que de nombreuses voix s'élèvent pour

demander un audit rigoureux, l'heure de vérité

a-t-elle sonné pour M. Matsuura ?

Un infléchissement permettrait de mettre

un terme à ce que le président

du Conseil exécutif, M. Olabiyi Babalola Joseph Yaï,

a appelé la « malsaine complicité »,

ce « malentendu bien entendu » entre

le Conseil exécutif, la Conférence générale

et le Secrétariat.

Les différents rapports produits

par le commissaire aux comptes

ne laissent plus d'échappatoire,

nul ne pouvant se prévaloir de l'ignorance

pour justifier le démantèlement du seul organe

culturel et intellectuel du système

des Nations unies.

Certes, dans les organisations internationales

ou dans les pays qui les soutiennent,

tous les responsables n'ont pas pour priorité

d'atteindre les objectifs que s'est fixés l'humanité.

Et il faut du temps et des efforts considérables

pour opérer un changement, même de l'intérieur,

dans ce type de bureaucratie.

Cependant, l'Unesco a beaucoup accompli

depuis sa création et, pour cela,

mérite une chance.

Alors, « Mesdames et Messieurs [de l'Unesco],

osez  (14 ! »

Gabrielle Capla.

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