11/28/09

«L'apnée, c'est un voyage intérieur»

Guillaume Néry:

Recueilli par ARNAUD BERTRAND

Guillaume Néry entame samedi
à 27 ans ses neuvièmes championnats
du monde d'apnée en poids
constant au Dean's Hole Blue
de Long Island aux Bahamas.

En 2002, à 20 ans, il descend
à 87 mètres, devenant le plus jeune
recordman du monde de l'histoire
de l'apnée. Engagé dans deux
disciplines à poids constant
(à la seule force des muscles
des jambes et des bras, avec et
sans palmes), il nous fait découvrir
la philosophie de ce sport
où la performance n'est pas la finalité.

Dans quel état d'esprit êtes-vous

à l'approche de ces nouveaux

championnats du monde ?

Il est temps que ça arrive.

Depuis trois semaines que je suis

sur place, la fatigue s'est accumulée

avec une dernière phase

d'entraînement «profonde».

Progressivement, on enchaîne

de plus grosses performances afin

de s'acclimater à la profondeur,

jusqu'à atteindre un seuil

quasi maximal. A Nice, avant

de partir, j'avais retrouvé un niveau

proche des 90 mètres pour atteindre

105 mètres lors de mes

dernières plongées. Sans palmes,

à poids constant, je suis arrivé

à 80 mètres, ma meilleure

performance jusque-là.

C'est une discipline

nouvelle pour moi.

Par quel cheminement en

êtes-vous venu à

la plongée en apnée? 

J'ai commencé par hasard à 14 ans.

Comme tous les gamins,

on se lançait des défis.

Dans le bus, en rentrant de l'école,

il fallait retenir le plus longtemps

sa respiration. Je me suis pris

au jeu, me suis renseigné sur

la pratique de l'apnée.

Il se trouvait qu'à l'époque,

le seul club se trouvait à Nice,

où j'habite. Une aubaine.

Je me suis inscrit, c'est

devenu une obsession.

L'apnée est plus qu'un

simple loisir. Il y a derrière toujours

cette volonté d'aller au bout

de cette passion. Plus que le temps,

j'ai cherché à tendre vers

la profondeur. L'apnée statique

ne m'intéresse pas.

Aller toujours plus loin

est votre leitmotiv?

La profondeur fait partie de l'activité

mais je ne suis pas obsédé

par la performance. Le simple fait

d'être en contact, en harmonie

avec l'élément est quelque chose

en soit de magique. En tant

qu'apnéiste, c'est ce que l'on aime,

ce que l'on recherche.

L'osmose et la communion

avec l'élément.

C'est en résumé la philosophie

que l'on associe généralement

à l'«école de Nice» ?

Après le film le Grand Bleu, un groupe

s'est constitué pour partager

cette passion. Le but était

de rassembler les gens pour

pratiquer l'apnée ensemble,

collectivement. Autour de cet

état d'esprit gravitent un tas

de notions spécifiques

à l'apnée : la patience, le respect

de l'élément. Ce n'est pas,

contrairement à ce que l'on

pourrait croire, la course à

la performance à tout prix.

Nous prenons le temps

de progresser. Cela surprend

parfois d'autres apnéistes.

Bien sûr, pendant la compétition,

on cherche à être le meilleur,

mais il y a une manière de faire.

Le chemin pour y parvenir

est aussi important que

la profondeur à atteindre.

Plus jeune recordman à 20 ans,

vous avez battu à quatre reprises

le record du monde dans

votre discipline. Où

trouvez-vous votre motivation?

Tant qu'au quotidien, j'aurai

cette envie de découvrir,

explorer en cherchant

à repousser mes limites,

je continuerai. A force d'expérience,

de travail et de patience,

on peut aller voir un peu

plus loin à chaque fois.

Battre des records, c'est sympa

mais ce qui est génial c'est

tout le cheminement, toute

la recherche que l'on a mise

en œuvre dans la quête

de l'inconnu. La compétition,

c'est un prétexte, pas la finalité.

Quelle est cette

finalité justement ?

L'apnée, c'est un voyage intérieur

que l'on peut parfois associer

à un moment de méditation.

On est centré sur ses sensations.

A quelques minutes de plonger,

on ne fait jamais complètement

le vide, on reste ouvert aux autres,

à l'extérieur. C'est essentiel.

Là, on s'éloigne des clichés

du Grand Bleu. Après, quand

on descend, on sent l'eau

qui défile, la pression qui écrase

les poumons au fur et à mesure,

on recherche à positionner

au mieux notre corps avec l'élément.

C'est une maîtrise et une

connaissance de soi qui est

assez poussées. Il ne sert à rien

de vouloir se battre contre

la pression. L'apnée ne doit

pas être une lutte.

Martin Stepanek a récemment

établi un nouveau record

du monde (-122 mètres).

Pensez-vous que l'on peut

aller encore plus loin aujourd'hui?

Evidemment. Ce sport est jeune,

il a réellement pris son essor

depuis 2001 et est aujourd'hui

en pleine expansion.

Il y a plus de pratiquants,

de nouveaux talents ont éclos,

ça va super vite. Sans compter que

les records ne sont que

des chiffres. Atteindre la barrière

des 100 mètres en plongée

à poids constant et avec palme

était il y a cinq ou six ans

quelque chose d'inconcevable.

Aujourd'hui, on est plusieurs

à atteindre 100 mètres.

Les barrières mentales

sont tombées. Bientôt

on dépassera les 130 mètres,

c'est sûr.

Vous parlez de talent. Quelle est

la part entre l'inné et

l'acquis dans ce sport ?

Ce sport n'est pas différent

d'autres disciplines. Il y a

des champions qui ont ce

quelque chose de plus,

qu'ils ont travaillé pour arriver

au meilleur niveau. Mais

quelqu'un qui n'a pas de

«talent» à la base peut progresser.

Il n'y a pas plus de spécificités

dans ce sport qu'il y en a ailleurs.

La seule différence peut-être

est qu'il n'y a pas de recette miracle.

Il n'y a pas de méthode

d'entraînement unique

pour arriver top niveau.

D'un apnéiste à l'autre,

les méthodes de travail sont

diamétralement opposées.

C'est d'ailleurs assez déroutant.

C'est un mystère difficile

à élucider. On a continuellement

le sentiment d'écrire une page

de l'histoire de ce sport.

Quelle est la clé

d'une plongée réussie ?

Il y a un maître mot

en apnée : le relâchement,

le lâcher prise. Avoir

ce détachement par rapport

à la performance pour être

avant la plongée en harmonie

avec la mer, être concentré

au maximum sur l'instant présent.

Il faut être libéré de

toute cette pression. Mentalement,

il faut prendre un certain

recul avec les risques tout en

étant vigilant et physiquement,

arriver à être efficace en

avançant sans consommer.

Physique et mental fonctionnent

ensemble. Mais dès que l'un fait

défaut à l'autre… C'est une alchimie,

un équilibre à trouver.

Quels sont vos objectifs pour

ces championnats du monde ?

Je ne me suis pas fixé d'objectifs

précis pour cette échéance.

2008 a été une année éprouvante

(Champion du monde par équipe

et record du monde). 2009 est

une année de transition.

L'objectif pour moi est de prendre

un maximum de plaisir,

de prendre le temps de

découvrir une nouvelle discipline,

de renouveler les challenges.

Être finaliste dans les

deux disciplines seraient

déjà une bonne chose.

Après, si j'accroche un podium,

voire une première place,

tant mieux. Mais l'essentiel n'est

pas dans le résultat.

Je prends ces championnats

avec détachement.

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--
J-L K
Sent from Kigali, Rwanda

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