Source: Koz, http://koztoujours.fr
Levée des excommunications :
plus tendue, la main… tu meurs.
La levée des excommunications des quatre évêques lefebvristes suscite
chez moi une joie mesurée, soumise à de grandes attentes,
et à une non moins grande perplexité.
Le Vatican a encore fait la preuve d'une grande bienveillance,
acceptant de s'exposer encore au mieux à l'incompréhension,
au pire aux condamnations. Il est vrai que ceci ne saurait être un frein
à l'action de l'Eglise.
Mais cela vaut la peine d'être noté, pour la suite :
pour un groupe minoritaire, l'Eglise accepte
d'assumer un supplément de réprobation générale.
Elle accepte ce risque pour un groupe minoritaire dont
le chef n'a pas hésité à déclarer son enseignement hérétique.
Ainsi écrivait-il, dans une déclaration en date du
21 novembre 1974, à propos du Concile Vatican II :
"Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme,
est tout entière empoisonnée ; elle sort de l'hérésie
et aboutit à l'hérésie, même si tous ses actes
ne sont pas formellement hérétiques.
Il est donc impossible à tout catholique conscient
et fidèle d'adopter cette Réforme et de s'y soumettre
de quelque manière que ce soit.
La seule attitude de fidélité à l'Eglise et à la doctrine catholique,
pour notre salut, est le refus catégorique d'acceptation de la Réforme."
Il ne s'agit pas, lorsque la réconciliation est envisagée, de regarder toujours
vers le passé, en oubliant d'éventuelles évolutions de la part
des lefebvristes - quoique l'on en recherche les illustrations -
mais cela permet de relativiser les délires victimaires de certains.
- Pourquoi le Pape s'obstine-t-il à se réconcilier avec les intégristes ?
C'est vrai quoi : sur les 1.115.000.000 de catholiques,
ils sont une minorité et ils ne nous apportent que des emmerdes.
On reviendra sur le cas Williamson, mais comme emmerde, celle-là,
c'en est une copieuse.
Mais il se trouve que l'Eglise catholique a cette manie de vouloir
rechercher l'unité.
On peut discuter des conditions de cette unité, mais le fait est
qu'elle la recherche.
L'Evangile selon Saint Jean rapporte que
le Christ, au moment de mourir, dit ceci :
"Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée,
pour qu'ils soient un comme nous sommes un : moi en eux,
et toi en moi.
Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura
que tu m'as envoyé, et que tu les as aimés
comme tu m'as aimé."
Ceci donne à l'unité un caractère sacré, là où les hommes dans
leurs activités habituelles sont plus prompts, dès que
survient une divergence, à la séparation, à la division
(ce qui transparaît dans l'incompréhension de certains).
La division est ainsi perçue par l'Eglise comme
la marque d'un échec manifeste,
comme une trahison de la volonté de Dieu.
Or cette division - relevant d'une contestation post-conciliaire
assez banale - est la plus récente.
On peut dès lors espérer y mettre fin avant qu'elle ne
devienne irréversible.
Le temps ayant un peu apaisé les différends,
on peut penser qu'il s'agissait de saisir un moment décisif.
C'est ce qui est très bien expliqué sur le site Liberté Politique :
"Le changement de génération en cours : celle qui a vécu
la rupture et dont les blessures sont plus ou moins
mal cicatrisées, a aussi été celle de la théorisation du conflit ;
le dialogue était donc difficile.
Avec la nouvelle génération, les perceptions étant
plus apaisées et les frontières souvent plus floues,
la question de l'unité peut être abordée plus sereinement.
Faut-il prendre le risque de laisser se creuser une division
qui serait considérée comme irréversible et dont
les perspectives de sortie s'estomperaient
au fil du temps qui passe ?"
C'est également ce que soulignait ardemment Benoît XVI,
lors de la publication du Motu Proprio
Summorum Pontificum, libéralisant
la messe tridentine (ie en bref la messe en latin) :
"En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré
le corps du Christ au cours des siècles,
on a continuellement l'impression qu'aux moments
critiques où la division commençait à naître, les responsables
de l'Église n'ont pas fait suffisamment pour conserver
ou conquérir la réconciliation et l'unité ;
on a l'impression que les omissions dans l'Église ont eu
leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions
aient réussi à se consolider.
Ce regard vers le passé nous impose aujourd'hui
une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux
qui désirent réellement l'unité aient la possibilité
de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau."
Ces considérations sont toujours valables aujourd'hui.
Et puis, je reste dans l'idée qu'il y a, de la part de
Benoît XVI, un pari : tendre la main avec le plus de bienveillance
pour (i) que certains la saisissent et (ii) que les raisons
pour lesquelles d'autres ne la saisiront pas
soient clairement établies, comme les responsabilités.
La question toutefois demeure : là, plus tendue,
la main, tu meurs. Benoît XVI a libéralisé
la messe tridentine.
Il a levé les excommunications. Que peut-il faire encore
sans mettre autrement en péril l'unité de l'Eglise ?
Que peut-il faire encore sans que les intégristes
ne fassent le moindre pas ?
Un rapprochement suppose que chaque partie
avance vers l'autre.
Or on cherche vainement les efforts ou concessions des lefebvristes.
On en est réduit à considérer la lettre par laquelle le supérieur
actuel de la Fraternité Saint Pie X a sollicité la levée
des excommunications comme un pas vers l'Eglise.
Les intégristes réussissent ainsi cette performance que
la demande faite à l'Eglise de faire un pas vers eux
apparaissent comme un pas vers l'Eglise de leur part.
- Alors ça y est, les intégristes sont pleinement dans l'Eglise ?
Ce serait brûler les étapes.
Comme l'explique le Père Kubler - dans l'extrait ci-dessus
d'un entretien très clair que vous pourrez
écouter en intégralité sur La Croix - sur un plan canonique,
ces évêques sont toujours suspens a divinis,
ce qui signifie qu'ils ne peuvent toujours pas
dispenser de sacrements valides,
ce qui réduit leur ministère à peu de choses.
Le retour à une pleine communion dans l'Eglise supposera
également une volonté bien exprimée de la part des évêques
et prêtres lefebvristes d'y prendre leur place.
Pour dire les choses aussi diplomatiquement que possible,
on s'en "remettra au Seigneur" sur ce point,
qui réalise ce que bien des hommes croient impossible…
Comme l'ajoute le Père Kubler, on peut faire une analogie avec
la situation des églises catholique et
orthodoxe : il y a 40 ans, les excommunications réciproques
ont été levées,
ce qui ne signifie pas pour autant qu'il s'agisse d'une seule
et même Église.
Alors, certes, comme le souligne Le Chafouin,
il serait regrettable que les lefebvristes soient les seuls avec
lesquels l'Eglise ne dialogue pas,
alors qu'elle promeut l'œcuménisme,
mais on ne peut affirmer aujourd'hui que cette levée
des excommunications marque le retour des intégristes
dans le giron de l'Eglise.
Au passage, on notera qu'il est piquant de constater que c'est à
l'occasion d'une semaine empreinte de ce dialogue œcuménique
qu'ils rejettent que les "évêques" lefebvristes obtiennent
la levée de leur excommunication.
- Et maintenant, les "bagarres" pour nous apporter "la vraie foi"
La Fraternité Saint Pie X fait montre d'une hypocrisie certaine,
dans sa réponse à la levée
des excommunications : elle affirmait dans sa lettre de demande
de levée des excommunications reprise dans le décret du 24 janvier 2009 :
"Nous sommes aussi toujours bien ancrés dans la volonté
de rester catholiques et de mettre toutes nos forces
au service de l'Eglise de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
qui est l'Eglise catholique romaine.
Nous acceptons son enseignement filialement.
Nous croyons fermement à la Primauté de Pierre et à
ses prérogatives et c'est pourquoi
la situation actuelle nous fait d'autant plus souffrir."
Mais, dans une lettre aux fidèles, son supérieur rappelle avoir
également écrit ceci :
"Nous sommes prêts à écrire avec notre sang le Credo,
à signer le serment anti-moderniste, la profession
de foi de Pie IV, nous faisons nôtres tous les conciles
jusqu'à Vatican II au sujet duquel nous émettons des réserves."
Magnanimement, le Père Kubler émet l'avis qu'il y a là une ambiguïté.
Plus prosaïquement, j'émets l'idée que Monseigneur Fellay
se paie gentiment notre fiole.
On est ravis de savoir qu'ils font leurs les conciles de Nicée,
Trente et Constantinople,
il paraît même qu'ils n'ont pas de problèmes avec les Évangiles.
Mais chacun sait quelle est la source de la division.
Il est aujourd'hui manifeste que la raison de la division ne tient pas
à une divergence sur la liturgie,
mais bien sur la doctrine.
Et ces divergences portent sur des points aussi peu négociables
que le dialogue œcuménique,
ou la liberté religieuse,
dont la Fraternité Saint Pie X rejette l'expression par Vatican II.
On sait que, dans la déclaration Dignitatis Humanae
le Concile déclare ceci :
"La personne humaine a droit à la liberté religieuse.
Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent
être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus,
soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain
que ce soit, de telle sorte qu'en matière religieuse nul ne soit
forcé d'agir contre sa conscience,
ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience,
en privé comme en public, seul ou associé à d'autres.
Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement
dans la dignité même de la personne humaine telle que l'a fait
connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même.
Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans
l'ordre juridique de la société doit être reconnu
de telle manière qu'il constitue un droit civil."
Comme l'exprime parfaitement Monseigneur Vingt-Trois, il ne saurait s'agir pour
un petit groupe de s'arroger le droit de faire le tri dans l'enseignement
de l'Eglise, de l'accepter filialement sauf pour ce
qu'il n'accepte pas filialement :
"Des gens qui, pour la plupart, se présentent sincèrement
comme des défenseurs de la Tradition,
se donnent le pouvoir magistériel de distinguer la bonne Tradition
de la mauvaise Tradition.
Mais un tel acte de discernement ne peut être qu'un acte
de l'Église et pas celui d'un groupe particulier dans l'Église."
Bref, nous voilà avec des personnes qui n'ont fait aucun pas vers l'Eglise,
même après le Motu Proprio, se contentant de crier victoire et
poser des exigences, et qui entendent apporter la "vraie foi" aux catholiques.
Les intégristes ne semblent ainsi guère soucieux d'entamer
un chemin de conversion, ou de dialogue sincère,
se contentant comme certains l'affirment expressément
de se réjouir "des bagarres intellectuelles et théologiques à venir" .
Or je ne vois pas pourquoi l'Eglise devrait justifier de sa foi devant eux…
Voilà qui promet donc d'être sport.
Et si je dis que plus tendue, la main, tu meurs,
c'est que Benoît XVI devra prendre garde de ne pas susciter,
par des concessions excessives,
d'autres ruptures dans l'Eglise.
Susciter un schisme, éventuellement silencieux, pour en résorber
un autre ne serait pas un bon calcul.
Il ne serait pas non plus bienvenu de faire passer le message
qu'une bien orgueilleuse et donc peu chrétienne intransigeance
soit la bonne voie pour se faire entendre de Rome.
Que je sache, les tenants de la théologie de la libération,
honnis de ceux qui nous occupent aujourd'hui, n'ont pas à ce jour
imaginé de créer la Fraternité de la Libération,
et d'ordonner leurs évêques.
- Pourquoi ces réticences ?
Il ne vous aura donc pas échappé que mon goût pour l'unité
ne va pas jusqu'à accepter…
qu'elle soit mise en péril.
Si je peux accepter l'idée de réintégrer des personnes
avec lesquelles je partage des convictions essentielles,
je suis réservé sur l'accueil de ceux dont l'orgueil et
l'intransigeance font légitimement craindre qu'ils soient
à l'avenir ferment de division, sauf à ce qu'ils fassent
la démonstration du contraire.
Il faut ajouter à cela une tendance des intégristes à se contenter,
lorsque cela les arrange, d'une adhésion formelle,
légaliste (virant au juridisme) et à tolérer en leurs rangs
l'expression de convictions incompatibles avec la foi chrétienne.
Le cas des propos du "cardinal" Williamson, en est
une illustration tragique.
Certes, la Fraternité Saint Pie X s'est publiquement désolidarisée
de propos indubitablement négationnistes,
évidemment guidés par un antisémitisme latent,
mais le "cardinal" Williamson n'en était pas à son coup d'essai
et il n'est pas acceptable qu'aucune sanction n'ait été
prise à son encontre.
Il n'est pas crédible de la part des intégristes de prétendre
faire la distinction entre l'adhésion au Credo et
la nature même de la foi chrétienne et ce, d'autant moins
de la part d'un de leurs membres les plus haut placés.
S'adjoint à cela leur ferme intention de tenir pour hérésie
ce que je tiens pour vrai, leur certitude de détenir la vérité,
leur proximité manifeste entre les intégristes et l'extrème-droite,
et la propension de nombre d'entre eux à défendre
la chrétienté plus qu'à promouvoir le christianisme.
Le Vatican a ainsi fait les pas nécessaires, sans même attendre
de la part des lefebvristes un signe tangible de
leur volonté sincère d'unité.
C'est là, très probablement, une attitude véritablement chrétienne.
Nous verrons, dans les semaines à venir, si les lefebvristes
entendent toujours dépeindre l'Eglise de Benoît XVI comme étant
soumise au modernisme et si leur conception du dialogue
consiste à exiger de l'Eglise qu'elle se range à leurs vues.
Je ne crois pas nécessaire que l'Eglise se montre moins ferme
dans ses justes positions,
reçues de Vatican II, qu'ils ne le sont dans leur refus.
Par la libéralisation du rite tridentin, par la levée des excommunications,
l'Eglise a libéré le chemin de la conversion des obstacles
qui pouvaient l'encombrer.
La lecture de ce dimanche, venant clore la semaine de prière
pour l'unité des chrétiens, portait sur la conversion de Saul,
dont l'intransigeance était célèbre de Jérusalem à Damas.
Une parole m'a paru spécialement adaptée.
Ananie impose les mains à Saul, irréprochable
tenant de la tradition, devenu aveugle…
"Aussitôt tombèrent de ses yeux comme
des écailles, et il retrouva la vue."
--
J-L K.
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