9/11/08

Le blues des catholiques africains
- 7 septembre 2008 - par TSHITENGE LUBABU M.K.

Le continent compte 160 millions de fidèles. Malgré la concurrence des Églises évangéliques et de l'islam, leur nombre est en constante augmentation. Une vitalité peu récompensée par le Vatican. Pas de visite du pape Benoît XVI - qui sera en France du 12 au 15 septembre. Pas de JMJ. Et toujours une sous-représentation dans le collège des cardinaux.

« Eglise d'Afrique, qu'as-tu fait de ton baptême ? Église d'Afrique, quel nouvel élan missionnaire penses-tu assumer dans le contexte difficile de notre continent, épuisé par de nombreuses blessures et abandonné au bord de la route par les structures de notre monde ­moderne ? » Une prédication ? Non. C'est le message que Mgr Robert Sarah, secrétaire de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples au Vatican, a adressé l'an dernier aux participants d'un colloque international à Abidjan. Ce cri d'alarme du prélat guinéen traduit le malaise qui règne au sein de l'Église catholique romaine sur le continent.
Pourtant, en y regardant de près, ses fidèles y sont toujours plus nombreux, et leur poids est loin d'être négligeable par rapport aux autres religions. L'islam arrive en tête, avec 350 millions de musulmans (soit plus de 43 % de la population), les animistes sont 200 millions (25 %) et les chrétiens 250 millions, dont 160 millions de ­catholiques (18,5 %), devant les protestants (11 %), les orthodoxes (4,5 %), les anglicans (2,6 %), les coptes (0,12 %) et les autres chrétiens (Églises d'Afrique, catholiques non romains, évangéliques, etc. : 5,28 %). Certes, l'évangélisation qui a marqué la première moitié du XXe siècle a fait son office. Selon la Conférence épiscopale allemande, le nombre de catholiques en Afrique est passé de 1,9 million en 1900 à plus de 137 millions en 2000. Soit une augmentation de 7 000 % en un siècle… Cette dynamique - la plus forte au monde - se poursuit à un rythme légèrement supérieur à celui de la croissance démographique. De 7 % en 1978, le continent représente 14 % des catholiques de la planète en 2008 (contre 50 % dans les Amériques, 25 % en Europe). Selon les prévisions, dans vingt ans, il en comptera plus que l'Europe. Autres statistiques éloquentes : le nombre de prêtres (32 370, + 1 111 de 2005 à 2006), de religieux et religieuses (66 729, + 1 463) ou de séminaristes (24 034, + 789) montre la tendance à la hausse des vocations en Afrique.
Quant à l'influence des catholiques, elle s'observe au quotidien, à travers les liens tissés avec la population, quelle que soit sa religion, par les nombreux prêtres et religieux qui accompagnent, éduquent, soignent. Ils gèrent en effet 1 730 hôpitaux, dispensaires et orphelinats sur le continent, des centaines de journaux et de radios (voir p. 27), des librairies et maisons d'édition, et ­quelque 53 000 établissements ­scolaires, qui accueillent autant de musulmans, de protestants et d'évangéliques que de catholiques. Ce qu'un théologien appelle un véritable « succès sociologique ».
Cependant, face à cette dynamique, à la ferveur des fidèles et à l'engagement des religieux sur le terrain, Rome reste lointaine. Et les catholiques africains se sentent un peu comme les laissés-pour-compte de l'Église. Pour une foule de « petites choses ». Sur 194 cardinaux dans le monde, seuls 16 sont africains*. Alors que Jean-Paul II a consacré 40 de ses 110 voyages au continent, Benoît XVI n'y est pas encore venu depuis son élection en 2005. Enfin, bien que conscients du manque d'infrastructures, les jeunes catholiques africains sont déçus que les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) ne se soient pas tenues sur le continent, le seul à ne les avoir jamais accueillies. Cette année, elles ont eu lieu en Australie et, en 2011, ce sera Madrid, en Espagne.
Par ailleurs, certains fidèles reprochent à la hiérarchie catholique ses positions conservatrices, en particulier concernant l'usage du préservatif. Alors que le sida est une calamité mondiale et ravage le continent, l'Église conseille à ses membres l'abstinence comme seule solution. La même ­intransigeance s'observe à propos de l'avortement : quelles que soient les conditions dans lesquelles une femme tombe enceinte - y compris en cas de viol -, elle n'a pas le droit d'interrompre sa grossesse au nom de la protection de la vie. Même inflexibilité quant au mariage des prêtres. Manque de réalisme ? « Il ne faut pas exagérer, rétorque l'abbé Richard Mugaruka, professeur aux Facultés catholiques de Kinshasa. D'une part, ces questions ne font pas partie de la pratique de la foi. Et sur la question du mariage, dans certains pays, lorsque des prêtres anglicans déjà mariés se convertissent au catholicisme, nous ne leur demandons pas de se séparer de leur femme. » Ainsi, oui, hors de la « bulle » romaine, certains prêtres sont mariés, nombre de religieux s'investissent auprès des malades du sida et, tout en prônant l'abstinence, distribuent des préservatifs sans oublier d'en expliquer le mode d'emploi. Au cas où… Mais pour l'Église, ces exemples, pourtant légion, ne doivent pas être la règle.

La concurrence évangélique
Depuis les années 1980, à la suite de la crise économique qui a frappé de plein fouet l'Afrique, une crise de la foi touche les Églises ­traditionnelles, principalement l'Église catholique. Non qu'elle soit responsable des problèmes économiques et sociaux de ses fidèles, mais elle peine à résister à la vague évangélique qui lui prend de plus en plus d'ouailles : 1,5 million chaque année, selon les estimations. L'abbé Mugaruka reconnaît la « concurrence très forte et efficace des évangéliques » et attribue la crise actuelle du catholicisme à trois facteurs : « l'exploitation cynique » de la misère populaire par les Églises de réveil, qui promettent des miracles ; un déficit de convivialité chez les catholiques ; et le recours, chez les évangéliques, aux éléments de la culture locale et au langage populaire, qui attirent plus que les sermons…
La plupart de ceux qui renient le catholicisme pour se tourner vers les Églises de réveil lui reprochent, à tort ou à raison, sa propension au dogmatisme et au non-respect de la « vraie parole de Dieu ». Pour Diunga, un ex-catholique de Mbuji-Mayi (centre de la RD Congo), désormais évangélique, « il y a beaucoup de contradictions chez les catholiques. Ils parlent de la Trinité [NDLR : le Père, le Fils et le Saint-Esprit], or ce principe n'existe pas dans la Bible. Pour nous, il n'y a qu'un seul Dieu, le Jéhovah de l'Ancien Testament, qui est le Jésus du Nouveau Testament. En outre, ils baptisent par aspersion d'eau, alors que la Bible recommande l'immersion. »
Mgr Anselme Titiama Sanon, évêque de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, ne partage pas cette analyse. Pour lui, « si c'est la parole de Dieu, elle ne peut pas être moins vraie dans les Églises historiques et plus vraie chez les évangéliques. Elle doit être prise dans toute son horizontalité. Dans toute sa verticalité aussi. »
On reproche en outre aux prêtres de s'intéresser plus au salut des âmes qu'à la vie des fidèles ici et maintenant. Mgr Sanon reconnaît volontiers que les religions historiques n'apportent ­aucune réponse aux besoins immédiats des gens. « Quand les enfants vont au catéchisme, on leur dit que Jésus est bon, et ça s'arrête là, explique-t-il. Chez les évangéliques, on leur dit que Jésus les sauve et on leur donne des bonbons. Un enfant a dit un jour à une catéchiste : "Tu nous parles de Jésus qui est bon, on prie, et tu ne nous donnes rien. Quand nous allons de l'autre côté [chez les évangéliques], on nous donne quelque chose." L'encadrement social devrait accompagner l'évangélisation. »

S'adapter à la culture locale
La façon de prêcher l'Évangile fait débat au sein même de l'Église catholique. Faut-il mettre l'accent sur le caractère universel du message ou privilégier les particularités locales afin qu'il soit plus en phase avec ses destinataires ? Autrement dit, le succès ne dépend-il pas de l'inculturation (l'adaptation à la culture locale), qui fut au centre du synode des évêques organisé par Jean-Paul II en 1994 ? La question se pose depuis des décennies.
Après le concile Vatican II (1962-1965), sous le pontificat de Paul VI, la tendance était à l'africanisation du catholicisme sur le continent. Il y a eu des pionniers, à l'instar du cardinal Joseph Malula, ancien archevêque de Kinshasa, qui ont réussi à impulser une dynamique conduisant à l'instauration d'une liturgie aux couleurs locales. Et, comme le souligne le Nigérian Bede Ukwuije, professeur de théologie à la faculté spiritaine internationale ­d'Attakwu : « Tous les théologiens africains s'accordent à dire que l'expérience religieuse et culturelle des Africains est non seulement une condition de l'accès à la révélation, mais fait partie intégrante de son processus. » Ajoutant cependant que « la théologie doit se garder d'enfermer le Dieu des chrétiens dans des déterminations culturelles. Si nous arrachons Dieu de l'emprise des cultures occidentales, ce n'est pas pour l'emprisonner à nouveau dans les cultures africaines. »
Mgr Sanon a constaté à quel point la manière de dire la messe et l'environnement dans lequel elle se déroule ont toute leur importance. Et il propose quelques recettes : « Nous avons ­affaire à une génération qui, si elle vient à l'église sans rien faire, va hésiter la prochaine fois et finir par ne plus venir du tout. Il faut lui donner le goût de la prière à travers la chorale, la lecture de la Bible, l'animation… Et penser au problème de la proximité. »
Mais l'inculturation reste balbutiante. Sans compter la décision prise en 2007 par Benoît XVI de revenir à la liturgie datant de Pie V (XVIe siècle) dans laquelle le chant grégorien devient la norme. Ce clin d'œil du pape aux traditionalistes, opposés à toute évolution et adeptes de la messe en latin, a surpris et suscité beaucoup de commentaires en Afrique. D'où la réaction d'Alphonse Quenum, recteur de l'Université catholique d'Afrique de l'Ouest à Abidjan : « Ce serait se tromper d'enjeu pastoral que de souhaiter réintroduire en Afrique une messe de saint Pie V qui ne nous apportera rien de nouveau. Les valeurs du sacré, dont nous avons besoin dans nos cultes, doivent se chercher à l'intérieur des possibilités offertes par Vatican II, encore mal exploitées. » Comment alors récupérer les brebis égarées ? « En matière de vérité, la récupération est une arme à double tranchant, affirme Mgr Sanon. Il faut une pastorale qui éclaire. Au Burkina Faso, nous avons décidé de traduire la Bible dans des langues locales pour que les gens aient la parole de Dieu et ne soient pas induits en erreur. La question n'est pas de récupérer ceux qui quittent l'Église catholique. Nous devons plutôt préparer les générations montantes à être à l'aise dans leur foi. » Cela passe, estime l'abbé Mugaruka, par la prise en compte de la culture africaine et l'émergence de mouvements charismatiques pour combler le déficit mystique actuel.

Minorité catholique et Islam
Autre défi : les rapports avec les musulmans. Dans la plupart des pays où l'islam est la religion majoritaire, il y a toujours eu un modus vivendi, une sorte de dialogue permanent. Mais depuis la montée du fondamentalisme islamiste et le prosélytisme sans bornes des évangéliques, la cohabitation entre musulmans et chrétiens devient difficile dans certains pays. C'est le cas en Algérie où, en janvier dernier, un prêtre français, Pierre Wallez, a été condamné à un an de prison avec sursis, les autorités algériennes lui reprochant d'avoir, le jour de Noël, célébré un office à l'intention de migrants subsahariens en situation irrégulière. Des étudiants originaires d'Afrique subsaharienne ont, quant à eux, fait l'objet d'un arrêté d'expulsion pour avoir pris part à un week-end consacré à l'étude de la Bible. Les catholiques d'Algérie (0,06 % de la population) se sentent persécutés par toutes les mesures prises contre eux. L'an dernier, les autorités leur ont même suggéré de quitter le pays « en raison de menaces d'Al-Qaïda au Maghreb islamique ».
L'Église catholique a du pain sur la planche en Afrique. Son poids et son influence sont importants mais y restent relatifs, même si un grand nombre de cadres actuellement aux affaires sont sortis de son moule. Prisonnière de ses dogmes, elle ne semble pas encore prête à s'adapter aux réalités du monde actuel et tergiverse. En attendant de trouver un juste milieu entre la volonté de rester attachée à ses principes et l'aspiration de ses fidèles à vivre autrement leur foi, elle a un rendez-vous important l'an prochain : le second synode africain, convoqué par Benoît XVI, du 4 au 25 octobre 2009. Son thème : « L'Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix ». Il ne sera vraisemblablement pas question de ce qui compte le plus pour les fidèles : l'inculturation et une nouvelle vision du monde.


* Sur 194 cardinaux au sein du collège cardinalice, seuls 16 représentent ­l'Afrique, dont 9 électeurs et 7 non-électeurs (de plus de 80 ans) : 2 au Nigeria et 1 au Ghana, en Afrique du Sud, en Angola, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Kenya, à Madagascar, à Maurice, au Mozambique, en Ouganda, au Sénégal, au Soudan, en Tanzanie et en Égypte. Comparativement, ils sont 103 Européens (dont 42 Italiens), 20 Nord-Américains, 30 Latino-Américains, 21 Asiatiques et 4 Océaniens.






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Jean-Louis Kayitenkore
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