9/18/08

Paris XIXe : « Les juifs, on s'en fout, la guerre, c'est entre nous »

Les faits divers entre jeunes se succèdent dans le XIXe arrondissement. Mais leurs mobiles restent flous. Enquête sur le terrain.

'Le Chat noir' (Theyuped/Flickr).

Lundi soir, deux jeunes de 16 et 18 ans ont été blessés au ventre à coups de couteau à Paris. La scène s'est produite rue de Crimée, dans le XIXème arrondissement, vers 20 heures. Le lendemain, à la même heure, les habitants de ce quartier très populaire rentraient tranquillement chez eux, via la boucherie halal pour certains. C'est ramadan, et on achète avant la rupture du jeûne coriande, crêpes « mille trous » ou dattes. Aucune tension palpable aux abords des cités « Curial », « Riquet », « Cambrai » ou « Porte des Flandres ».

Depuis une quinzaine de jours, le climat s'est pourtant dégradé de part et d'autre du bassin de la Vilette. Avant l'épisode des coups de couteau (dont l'auteur, non identifié, est recherché par la police), deux autres incidents graves s'étaient produits dans le même pâté de maison : un homme a été tué par balles dans la nuit du 7 au 8 septembre. Trois jours plus tard, un autre était blessé à la jambe. Des tirs à balles réelles, « une vraie nouveauté », selon la police.

Si Bertrand Delanoë a dénoncé « l'aggravation manifeste du climat d'insécurité » dans l'ensemble de l'arrondissement, c'est que d'autres aggressions ont marqué le XIXe cet été : après Rudy, tabassé rue Petit fin mai, trois jeunes juifs ont été victimes de jets de pierres début septembre. L'épisode s'est soldé par des fractures au nez et une plainte en cours d'instruction.

Guerre des gangs importée du Bronx ou remix de l'Intifada ? Alors que les rumeurs enflent, Rue89 a passé les différentes conjectures au crible des habitants, des forces de l'ordre et d'acteurs de terrain.

Une guerre communautaire et religieuse  ?

C'est une hypothèse largement reprise par les médias, qui brassent aussi bien les rixes aux abords du parc des Buttes Chaumont et les trois épisodes violents des derniers jours à l'autre bout de l'arrondissement. Sachant que ces derniers concernent des jeunes noirs et maghrébins, rappelle la préfecture de police.

« La guerre, c'est entre cités ; les autres, on s'en fout »

L'affrontement entre adolescents juifs et jeunes noirs ou maghrébins issus des cités aurait-il gagné du terrain  ? Aucun des deux quartiers ne se reconnaît dans ce schéma. Ni les jeunes juifs rencontrés rue Petit après l'agression de Rudy, recontactés cette semaine. Ni ces grappes de jeunes qui épluchaient mardi soir le Parisien au carrefour de l'avenue de Flandre et juraient :

« Les médias n'ont aucun respect, on a un mort et ils nous mettent les juifs sur le dos alors que ça n'a rien à voir. Déjà qu'ils parlent plus de trois nez cassés que d'un décédé chez nous… Ici, c'est entre cités que c'est la guerre. Les autres, on s'en fout. »

De fait, la géographie de l'arrondissement est éloquente  : il faut vingt grosses minutes à bon train pour gagner à pied la rue Petit depuis les cités Curial-Cambrai. Entre les deux quartiers, le canal de l'Ourcq reste une frontière malgré les écluses. D'ailleurs, mardi, Jérôme Foucaud, commissaire-divisionnaire du XIXe, déconnectait ces deux suites d'événements.

Une synagogue est plantée au beau milieu d'une des cités et personne ne témoigne de tension particulière à l'encontre des juifs qui vivent de ce côté-ci de l'arrondissement. D'ailleurs, l'opposition municipale, très en pointe pour dénoncer le passage à tabac de Rudy et la montée de l'antisémitisme avant l'été, se fait plutôt discrète. Rappelé par Rue89, Jean-Jacques Giannesini n'a pas donné suite. Au sein de la majorité, on grince que les quartiers qui s'affrontent aujourd'hui sont moins rentables électoralement.

Une guerre de territoires  ?

Le commissaire Foucaud, en poste depuis deux ans dans le XIXe, n'exclue pas l'hypothèse d'une guerre de territoires. Qui mérite pourtant des nuances. Mais il existe bien des cages d'escalier sous contrôle de telle ou telle bande. Et quand on interroge les plus jeunes à la sortie du soutien scolaire, ils ont la virulence très ciblée, du haut de leurs dix ans…

Surchauffés, ils s'apprêtent à rentrer à 19 heures et se repassent frénétiquement un pistolet en plastique noir  :

« L'ennemi, c'est Cambrai. Nous on vient d'ailleurs. RQT ça veut dire Riquet. En face, on leur parle pas. On encule leur mère. »

La « guerre des boutons » version urbaine et 2008 ? Sur le terrain, éducateurs et chefs d'établissement offrent une autre lecture. Ainsi, Philippe Rougeaux, à la tête de l'association Mission possible, reconnaît que les plus jeunes sont très nerveux, ces jours-ci. Mais il précise que si « deux ou trois connaissent de très près les protagonistes » et n'hésitent pas à se la jouer caïds, ils côtoient pendant le soutien scolaire des élèves venus des cités rivales. Sans que ça vire à la guerre de tranchées.

Rivalités et territoires s'estompent aussi à l'école. Le brassage n'est pas systématique puisqu'il existe encore une répartition géographique des élèves malgré l'assouplissement de la carte scolaire. Toutefois, la police insiste sur le fait que ces jeunes se parlent et se mélangent encore à l'école.

« La cohabitation est restée facile. »

Le collège Edmond-Michelet accueille par exemple 70% d'élèves issus de la cité Cambrai. Mais le dernier tiers des effectifs (530 élèves) est souvent issu des cités rivales, par exemple lorsque les élèves sont exclus d'autres établissements. Or, pour Daniel Lamy, le proviseur de Michelet, « le collège est parfaitement calme, de même que les alentours » :

« L'atmosphère est excellente au sein du collège et moi qui loge dans le quartier, je peux vous dire qu'on y dort très bien. Depuis les derniers événements, mes CPE me disent que la cohabitation est restée facile. »

Les territoires ne joueraient donc pas tant que ça  ? Les médiateurs de quartier soufflent tout de même que le sport, ça se pratique le plus souvent par bandes. Et mardi soir, de jeunes adultes à l'entrée des immeubles reconnaissaient avoir « de vieilles connaissances » dans le camp d'en-face… mais pas sans ajouter qu'ils font tout pour « rester discrets » par les temps qui courent - « Sinon t'as l'air d'une balance et c'est pas jouable en temps de guerre ».

La rivalité entre territoires -dont personne ne semble plus connaître l'origine- ne suffit donc pas à expliquer pourquoi la violence a pris ces proportions. Dix jours après l'homicide par balles, la police cherche toujours à identifier l'élément qui aura mis le feu aux poudres.

Une guerre pour des histoires de filles  ?

Le commissaire Foucaud n'exclut pas que « des rivalités autour des filles » puissent déboucher sur de telles violences, balles réelles comprises. Après « La Guerre des boutons », « West Side Story » ?

Après pas mal de refus, une poignée accepte de discuter, mardi soir. Quatre ou cinq, la plupart nés ailleurs (Tunisie, Mali, Maroc) mais habitant le XIXe depuis plus de quinze ans. Certains ont un travail (technicien à la RATP ou animateur vacataire dans une école), d'autres pas (qu'ils en cherchent ou qu'ils dealent - « Ici, c'est les barrettes qui parlent »).

« Ici, c'est la zone, pas Hollywood »

Ils ont bien voulu raconter que tout commence « comme des bastons informelles, à base de vengeance » et que « même si la guerre a durci, y a pas plus d'armes qu'avant, c'est du pareil au même ». Pas l'ombre d'un rimel à l'horizon, en revanche  :

« Ce serait la guerre pour des meufs ? La vérité, les keufs, ils vont trop au cinéma, ici c'est la zone, c'est pas Hollywood… D'ailleurs, ils aiment bien arriver à la fin du film, ces fils de pute ! Un innocent qui n'avait rien à voir dans l'histoire s'est fait descendre et ils pensent qu'il y a de la meuf là-dessous ? Vois les bouffons  !   »

Le remake de la Guerre de Troie (pour info, au début de l'épisode homérique, Pâris avait soufflé Hélène à Mélénas) fait aussi sourire pas mal d'élus. Léa Filoche, conseillère de Paris déléguée dans le XIXe à la citoyenneté, aux droits de l'homme et à la discrimination, a vécu sept ans avenue de Flandres, tout près des fusillades récentes. Une histoire de filles lui semble plus qu'improbable. Pour elle, c'est parce que le tissu social s'est nettement dégradé que certains verrous ont sauté  :

« Ce niveau de paupérisation est nouveau et génère plus de tensions sociales. Or les subventions de l'Etat vers les associations de terrain ont décliné depuis trois, quatre ans. C'est l'arrondissement le plus jeune de Paris et l'on a peu de moyens. Mais travailler sur l'adolescence est une des priorités de ce mandat-ci. »

Une guerre de trafic  ?

Reste l'hypothèse d'un règlement de compte pour des histoires de trafic, principalement de crack et de haschich. Au pied des barres, personne ne nie farouchement même si tout le monde jure ses grands dieux que Djamel, tué par balles dans la nuit du 7 au 8 septembre « n'y était pour rien ». Léa Filoche précise même que cet habitant de 23 ans se trouvait simplement « au mauvais endroit au mauvais moment » et était « un proche de l'adjoint au maire chargé de la jeunesse ».

« Les victimes refusent de coopérer »

La police penche aussi pour la guerre de trafic. Pas parce que le périmètre relèverait d'une zone franche interdite aux uniformes mais plutôt parce que « les victimes refusent de coopérer ».

Sous les balles, le business  ? Même les plus jeunes se figent pour en parler. Souvent, ils servent d'intermédiaires pour les petits deals, dès qu'ils ont passé l'âge (environ 12 ans) de faire le guet. Dès 13 ans, ils sont amenés à prendre du poids dans l'organisation. A la tête, on trouve des têtes connues de la police, souvent les mêmes que ceux qui régnaient un peu plus au sud, au niveau du métro Stalingrad, avant que la zone soit « nettoyée ».

Dans le quartier, du boulanger au patron de la téléboutique, rares sont ceux qui expliquent autrement les altercations sanglantes. Au passage, bon nombre parient sur un durcissement du conflit « à la fin du ramadan ». Les principaux intéressés confirment :

« Pour le moment, les esprits sont paisibles mais ça va changer. Regardez déjà, depuis que c'est vraiment la guerre, les affrontements ont toujours lieu à l'heure où on casse le jeûne. Chacun casse comme il veut, nous c'est avec des armes et des poings. »

Alors qu'il a reçu les renforts en hommes qu'il réclamait, le commissaire Foucaud s'escrime à faire savoir que les statistiques sont plutôt meilleures sur le front de la délinquance. Jusqu'à cet été, la police valorisait une baisse de 17% des actes violents sur l'arrondissement depuis 2001.






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Jean-Louis Kayitenkore
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