9/18/08

Talibans A la barbe de l'Otan

Insaisissable, Jalaludin Haqqani est l'homme à abattre en Afghanistan. Moudjahid chéri de la CIA lors de l'occupation soviétique, il a depuis rejoint le mollah Omar. Pour devenir le cauchemar des armées occidentales.
JEAN-PIERRE PERRIN

QUOTIDIEN : jeudi 18 septembre 2008
 
 

Comment traquer un fantôme ? Dans ces vallées ingouvernées, où la frontière entre Pakistan et Afghanistan se résume à une idée, donner la chasse à Jalaludin Haqqani revient à courir après une ombre. On l'a longtemps cru mort, Haqqani, avant de découvrir que c'était son frère qui avait été tué par une bombe américaine vers 2001. En principe, il est donc vivant, sans doute malade mais bien vivant. Il se tait, ne communique pas, ne fait pas le beau comme Oussama ben Laden sur une vidéo. Il préfère sa qualité d'ombre, son rang de fantôme.

Du temps de l'occupation soviétique, il a longtemps été l'un des alliés préférés des Américains, séduits par son ardeur au combat. Depuis le retour des talibans sur le devant de la scène en 2005, il est devenu l'adversaire le plus redoutable de l'Otan. Il commande toute la région Est, et, au-delà, grâce aux contacts noués pendant la guerre contre les Soviétiques, il a mission de rallier à la cause talibane les autres régions en y envoyant des émissaires. C'est lui, encore, qui coordonne et développe les attentats-suicides, suivant en cela l'exemple irakien. Quasiment inconnus dans ce pays jusqu'à 2003, on en comptait 167 trois ans plus tard. Le 18 août dernier, il lançait une quinzaine d'insurgés portant des vestes bourrées d'explosifs contre la grande base militaire américaine de Camp Salerno, à proximité de la ville de Khost.

C'est cet homme-là que, fin 2001, après la chute des talibans qu'il avait déjà rejoints, la CIA essayait encore de rallier. Le président afghan Hamid Karzaï lui aurait même proposé le poste de Premier ministre ! Mais comme l'assure un vieux proverbe afghan : «On peut louer un Afghan mais on ne l'achète jamais.» Haqqani a donc repris son double combat, nationaliste et islamiste, contre ses amis d'hier qui, à présent, cherchent désespérément à le tuer. Mais si la plupart des officiers occidentaux servant en Afghanistan ne savent rien de lui et ignorent jusqu'à son nom, pour les Pachtouns des deux côtés de la frontière, il est une légende, l'équivalent du commandant Massoud pour les Tadjiks.

Grottes profondes

Les deux hommes, Haqqani et Massoud, se sont d'ailleurs connus et respectés, avant que leurs chemins ne se séparent. Si le «Lion du Panshir» a choisi de résister aux talibans, Haqqani, lui, a préféré les rejoindre. Pourtant, ils étaient entrés ensemble en guérilla en fomentant, le 22 juillet 1975, un soulèvement militaire islamiste contre le président autocrate Daoud - lequel sera renversé trois ans plus tard par un coup d'Etat communiste. Mal préparée, leur insurrection fît long feu, mais, déjà, le Pakistan avait apporté sa bénédiction à l'opération. Ils ont ensuite remporté de belles victoires sur l'armée soviétique et ont été membres d'un éphémère Conseil des commandants, en 1990, chargé d'unifier les groupes de la guérilla.

La région de Khost, le long de la ligne Durand - l'illusoire frontière afghano-pakistanaise -, est le principal sanctuaire d'Haqqani, l'endroit où, pendant la longue guerre contre l'Armée rouge et le régime communiste de Kaboul (1978-1992), nous l'avions à plusieurs reprises rencontré. Tantôt dans sa base arrière de Miram Shah, la capitale du Waziristan, dans la zone tribale pakistanaise : une petite bourgade sale et maussade, paumée entre les chaînons de l'Hindŭ Kuch, où se donnent rendez-vous les jihadistes du monde entier. De tout temps, Miram Shah a vu flotter l'étendard de la révolte, d'où la présence, jusqu'en 1947, d'une garnison britannique. Lawrence d'Arabie y fut affecté et, s'y morfondant, traduisit l'Odyssée d'Homère.

Tantôt dans sa base de Sawa Kheil, du côté afghan, qui a sans doute été construite par Oussama ben Laden : des grottes profondes, de longs souterrains que l'Armée rouge n'est jamais parvenue à prendre ou à complètement détruire. Le chef afghan y disposait même d'une petite unité de chars russes pris à l'ennemi.

Petit, efflanqué comme un chat des bas quartiers de Kaboul, la barbe immense, sauvage, roussie au henné pour paraître plus jeune, des cartouchières enroulées autour de la poitrine comme un bandit mexicain, il avait l'accueil franc, direct, plutôt cordial. Comme couvre-chef, il alternait turban et pakol, ce bonnet roulé en laine des montagnes du Nouristan, plus pratique au combat et immortalisé par Massoud.

Le pieux combattant, qui serait âgé d'une bonne soixantaine d'années, est un Jadran, une tribu pachtoune campée des deux côtés de la frontière, volontiers moquée pour son côté fruste. On raconte qu'au début du jihad contre l'armée soviétique, les Jadran, recevant leurs premières armes, avaient négligé les lance-roquettes, croyant qu'il s'agissait… d'instruments de musique. Lui est un maulawi, un rang religieux supérieur. Il a étudié dans la grande madrassa (école religieuse) privée et ultrarigoriste de Dar ul-Ouloum Haqqaniyya, dans l'est du Pakistan. Il y enseignera et prendra le nom de cette école, qui deviendra le centre de gravité des talibans. Il établira ensuite sa propre madrassa, à trois kilomètres de Miram Shah.

A l'époque du jihad contre l'URSS, la CIA, via le Pakistan, lui fournit une aide financière, la centrale voyant en lui un des chefs afghans les plus combatifs. Dès le début de la guerre contre les Soviétiques, il s'impose dans les provinces du Paktya et du Paktika, dans l'est du pays. Après le départ de l'Armée rouge, c'est lui et ses hommes qui prendront la première ville afghane, Khost, en 1991, après deux ans d'un siège intense. «C'était impressionnant de voir comment ils avaient pillé la ville. A la pachtoune. Dans les bâtiments officiels, il ne restait plus rien. Ni porte ni fenêtre» , se souvient la chercheuse au CNRS Mariam Abou Zahab, qui traversa la ville peu après.

C'est encore lui qui a ouvert les rangs des moudjahidin aux volontaires étrangers. Parmi eux, beaucoup d'Arabes, surtout des Frères musulmans, mais aussi quelques Français et même une poignée de Black Muslims américains. Au financement des Etats-Unis, s'ajoute celui, tout aussi important, de l'Arabie saoudite. Etrange fascination du maulawi Haqqani pour ces jihadistes, qui se battent peu contre l'armée soviétique mais massacrent beaucoup. Il les défend, même quand ils commettent les pires barbaries. En 1989, raconte le chercheur afghan Assem Akram (1), «sur l'insistance des volontaires arabes, une soixantaine de prisonniers afghans sont exécutés, découpés en morceaux, emballés dans des caisses à fruits et envoyés par camion à Jalalabad [la grande ville du Nord-Est afghan, ndlr] , avec un message à transmettre à la garnison : "Voilà ce qui attend les moulheds [mécréants, ndlr]. Terrorisées, les garnisons, qui songeaient à se rendre, continueront le combat, prolongeant la guerre d'environ deux ans.

S'il est proche des jihadistes arabes, Haqqani ne l'est pas moins de l'armée et des services secrets pakistanais. Pendant le jihad contre le communisme, nous avions rencontré des officiers de l'ISI (Inter-Services Intelligence, la sécurité militaire) pakistanaise dans sa base de Sawa Kheil.

En 1995, il rallie les talibans, sans pour autant être des leurs. Cela lui vaut de jouer un rôle marginal dans les affaires politiques. Lui qui a toujours ignoré superbement les 1 360 km de la ligne Durand sera nommé ministre… des Frontières à partir de 1998.

A cette époque, il resserre ses liens avec Ben Laden et le laisse organiser plusieurs camps d'entraînement autour de Khost. L'une de ses femmes est d'ailleurs arabe, mais c'est un secret jalousement gardé ; un mariage qui lui a sans doute permis d'augmenter ses ressources financières.

Protections pakistanaises

En 2001, après l'intervention américaine, il refuse une proposition américano-pakistanaise de créer un mouvement de «bons» talibans, préférant rester fidèle au mollah Omar, le guide suprême du mouvement. Dans son fief de Miram Shah, il accueille tous ceux qui fuient l'offensive américaine de l'hiver 2001. De cette époque date sa véritable alliance avec Al-Qaeda, qui va le conduire à se radicaliser plus encore. Par tous les moyens, les Américains essaient alors d'éliminer celui qu'ils ont si longtemps financé et poussent le Pakistan à faire de même. Difficile de localiser Haqqani en Afghanistan. Idem au Pakistan, où il bénéficie de la protection de l'ISI qui, sans doute, l'avertit des opérations menées contre lui. Car l'homme des talibans est resté proche des services pakistanais. En juillet dernier, le New York Times a révélé que la CIA avait remis au Premier ministre pakistanais, Youssouf Raza Gilani, des preuves de la collaboration de Haqqani avec l'ISI dans l'attentat contre l'ambassade indienne à Kaboul, le 7 juillet, qui avait tué près de 60 personnes.

Le 8 septembre, des drones américains ont tiré trois missiles sur sa madrassa de Miram Shah. Mais ni Haqqani ni son fils Sirajuddin, qui se prépare à lui succéder, n'étaient dans la maison. Le bombardement a cependant tué 21 personnes, en majorité des membres de sa famille, dont des enfants. Cette attaque a encore renforcé sa légende. «Les Afghans se moquent qu'il soit proche d'Al-Qaeda. Ils se souviennent qu'il fut un grand commandant contre les Russes. Et ils le croient aujourd'hui quand il leur dit qu'il a y d'autres mécréants qui envahissent leurs vallées et qu'il faut lancer la guerre sainte», conclut Mariam Abou Zahab




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